Qu'est-ce que la littéraTube ?

1. Teasers et promotion de livre

Teasers et promotion de livre

Gilles Bonnet, Erika Fülöp, Gaëlle Théval, « Teasers et promotion de livre », Qu’est-ce que la littéraTube ? (édition augmentée), Les Ateliers de [sens public], Montréal, 2023, isbn : 978-2-924925-21-8, http://ateliers.sens-public.org/qu-est-ce-que-la-litteratube/chapitre1.html.
version 0, 22/05/2023
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Les institutions de l’écosystème traditionnel s’emparent peu à peu des nouveaux outils de communication pour assurer la promotion de leurs auteurs par de nouveaux canaux. Ainsi de Jean-Paul Hirsch, dont la chaîne archive des entretiens homemade pour le compte de P.O.L. Mais depuis plusieurs années les plateformes de partage de vidéos comme YouTube sont également devenues des lieux de diffusion et de circulation de nouvelles formes promotionnelles pour le secteur de l’édition : book trailers et autres teasers vidéo font désormais partie du bagage promotionnel commun entourant la parution d’un livre aux côtés des campagnes d’affichage, rencontres-signatures et lectures publiquesSe reporter à l’article de Heiata Julienne-Ista, « Créer des vidéos pour vendre des livres ? Promotion et autopromotion de la poésie contemporaine sur YouTube » (2020).↩︎. Or cette forme donne également lieu à des investissements poétiques qui en brouillent les fonctions.

Défini par Sylvie Decaux et Xavier Sense comme « une forme discursive pluri-sémiotique ayant pour fonction de faire la promotion d’un livre » (2012, 405), le book trailer ou « bande-annonce de livre » est un genre publicitaire plutôt en usage pour la promotion de romans à fort potentiel de vente, romans de genre, polars, ou encore la littérature jeunesse. Tourné vers le divertissement, le spectacle, le trailer use de l’image animée comme moyen d’attirer des non-lecteurs à la lecture, de susciter l’intérêt par des moyens sémiotiquement hétérogènes à l’écrit, ce qui lui vaut de nombreuses critiques et procès en trahison, ainsi qu’un rejet ou – le plus souvent – une parfaite indifférence du côté de la littérature dite expérimentale. Secteur traditionnellement peu vendeur, la poésie contemporaine semble en effet peu concernée par de telles stratégies publicitaires. Le book trailer et son associé le teaser vidéo semblent de fait peu adaptés, voire antithétiques de ces formes poétiques, en raison de leur accointance plus évidente avec le genre romanesque d’une part, la logique de best-seller et de vente massive qui y est associée d’autre part.

Certaines maisons éditant de la poésie ont toutefois recours à des formes de promotion vidéo : c’est notamment le cas de l’éditeur P.O.L qui, depuis une dizaine d’années, propose sur son site et la chaîne YouTube associée des « vidéolectures », lectures à voix haute face caméra par les auteurs d’extraits de leur livre en cours de parution. Ces vidéolectures rejoignent, et prolongent par une diffusion numérique plus large, les lectures publiques à vocation promotionnelle désormais florissantes dans les librairies et autres institutions, stratégies publicitaires tablant sur l’incarnation du poèteVoir Rosenthal et Ruffel (2010) et Puff (2015).↩︎. Le même éditeur renouvelle également, toujours dans ces capsules vidéo, le genre de l’entretien d’écrivain. À chaque nouvelle sortie un auteur vient ainsi parler de son livre face à la caméra, filmé dans les locaux de la maison d’édition. Mais si les entretiens d’écrivains et lectures à voix haute filmées font partie des formes possibles de book trailer tablant sur la « promotion par l’information » selon Sylvie Decaux et Xavier Sense (2012, 409), il ne s’agit en somme que de la reconduction de formes péritextuelles déjà à l’œuvre dans d’autres contextes, là où la bande-annonce de livre stricto-sensu et le teaser proposent une manière inédite dans le champ littéraire.

Le champ de la poésie contemporaine est, d’autre part, marqué par de multiples phénomènes d’intermédialité : la mise en images et en sons du poème y est à l’œuvre au sein de formes plurisémiotiques, et la vidéo peut aussi être un outil de création à part entière, de vidéoperformances et autres vidéopoèmes qui ne sont pas nécessairement reliés à un livre publié. La performance comme la vidéo sont alors des modalités d’implémentation du poème, de publication du poème hors livre et ne relèvent en rien d’une relation qui serait d’ordre péritextuel à une œuvre princeps qu’elles auraient pour tâche de promouvoir. Ce type d’œuvre se déploie alors bien souvent hors de la chaîne traditionnelle du livre de par ses supports hétérogènes, et sa relation avec ces stratégies publicitaires semble bien lointaine.

Pourtant, la dichotomie apparente entre ce qui relèverait du clip promotionnel d’une part et de la création de vidéopoèmes d’autre part semble mise à mal par l’existence d’un certain nombre d’objets vidéographiques en circulation sur le Web. Les réalisations que nous nous proposons d’envisager interrogent en effet d’abord par l’ambiguïté de leur statut : leur vocation promotionnelle affichée ne semble pas corroborée par leur mode de diffusion ni même par leur contenu. Elles émanent d’auteurs dont l’œuvre se déploie autant en performance et en vidéo que dans le livre. Leur relation à l’objet livresque dont elles sont censées opérer la promotion en devient alors problématique. Ainsi François Bon parle-t-il, à la découverte de la série des teasers réalisés par Nathalie Quintane et publiés durant les quatre mois précédant la parution de Descente de médiums (2014) sur le site des éditions P.O.L, d’« anti-teasers promotionnels » (2014). Assumant l’« écart de création », ces teasers ainsi pourtant nommés par leurs auteurs, sont conçus par les poètes eux-mêmes, à l’instar des trois vidéos réalisées par Patrick Bouvet et le vidéaste Térence Meunier pour la parution de Pulsion lumière (2012), Carte son (2014) et Petite histoire du spectacle industriel (2017), tous trois aux éditions de l’Olivier. Que deviennent ces genres communicationnels que sont le teaser, le vidéoclip et le book trailer lorsque des poètes expérimentaux s’en emparent ? Quelles relations ces corpus a priori promotionnels entretiennent-ils avec les autres productions hors livre de ces poètes ? Notre corpus se limitera ici à deux séries de vidéos, toutes désignées comme teasers de plusieurs ouvrages de Nathalie Quintane et de Patrick Bouvet.

Des teasers ? Fonctionnement rhétorique

Le premier point commun à ces vidéos est d’afficher clairement leur genre. Les métadonnées éditoriales qui s’inscrivent autour de la vidéo sur leur site de diffusion, YouTube, l’indiquent sans ambiguïté. On lit ainsi sous la vidéo de Patrick Bouvet « Carte son », un titre, qui indique un genre entre parenthèses : « Carton son (teaser) ».

« PATRICK BOUVET | Carte son (teaser) »

Crédits : Patrick Bouvet et Térence Meunier

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Conformément à son statut annoncé, la vidéo évoque un livre qui n’est pas encore paru, ce que confirment les dates :

Vidéo ajoutée le 5 mars 2014, « Nouveau livre de Patrick Bouvet “Carte son”, parution en avril 2014 aux éditions de l’Olivier. » 

Le nom de l’auteur, le titre du livre, le nom de l’éditeur sont clairement mentionnés. On retrouve les informations nécessaires à la promotion d’un ouvrage à venir. Il en va de même pour « Petite histoire du spectacle industriel » : le teaser est posté en février 2017, et affiche les informations relatives à la parution en mars 2017 du livre aux mêmes éditions.

Patrick Bouvet, « Petite histoire du spectacle industriel (teaser) », 8 février 2017

« PATRICK BOUVET | Petite histoire du spectacle industriel (teaser) »

Cette vidéo a été archivée sur la plateforme Nakala pour garantir sa pérennité. Voir la vidéo sur YouTube.

Crédits : Patrick Bouvet et Térence Meunier

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En 2018, Guillaume Vissac, publie chez Othello une version livresque d’Accident de personne (2018), le qualifiant de « roman en pièces détachées ». Œuvre transmédiatique sur les suicidés du métro, cette dernière avait en effet d’abord été écrite au fil de l’eau durant un an et demi sur TwitterVoir le compte Twitter Accident de personne.↩︎ en 2010, puis connu une mise en livre numérique sur Publie.net en 2011Voir la publication sur le site de Publie.net.↩︎. Les cinq vidéos postées sur la chaîne YouTube de l’auteur en 2018, nommées « teasers », coïncident avec la sortie annoncée du livre. D’une durée de trente secondes en moyenne, ces très courtes vidéos présentent chacune des vues en travelling prises à bord du métro, ou dans des stations, et en surimpression d’autres silhouettes fantomatiques, inquiétantes, pendant que des voix multiples lisent des extraits de l’ouvrage, avant de céder la place à l’image de la couverture du livre à venir.

Guillaume Vissac, « Accident de personne* : “tout piétiner” », 1er février 2019

« Accident de personne : “tout piétiner” » de Guillaume Vissac

Cette vidéo a été archivée sur la plateforme Nakala pour garantir sa pérennité. Voir la vidéo sur YouTube.

Crédits : Guillaume Vissac

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Les vidéos de Nathalie Quintane usent du même vocabulaire marketing pour se désigner : la vidéo de Crâne chaud est ainsi légendée « Bande-annonce du prochain livre de Nathalie Quintane. Éditions P.O.L – octobre 2012 », et la série réalisée pour Descente de médiums en mars 2014 est indiquée comme « film […] à l’occasion de la parution de Descente de médiums aux éditions P.O.L avril 2014 ».

Il convient donc dans un premier temps d’aborder ces vidéos en fonction de leur statut promotionnel affiché. Les envisager depuis ce statut implique d’en considérer le fonctionnement comme « genre paratextuel intermédial » (Grøn 2014) et le fonctionnement rhétorique, puisque comme le rappellent Sylvie Decaux et Xavier Sense,

le book trailer est un document visuel et sonore véhiculant un message intentionnel et persuasif. Intentionnel parce qu’il est relatif à un livre, et persuasif parce qu’il met en place une argumentation qui vise à produire un effet : susciter l’intérêt du lecteur et, par-là, inciter l’acte d’achat (2012, 405).

Ces objets relèvent d’une « communication publicitaire et commerciale ». Contrairement aux autres péritextes, le book trailer inclut une dimension iconique, et non seulement une description verbale. Il produit, selon Rasmus Grøn, une « suggestion audiovisuelle des caractéristiques du texte » (2014). Observons donc la manière dont s’opère cette suggestion audiovisuelle dans notre corpus.

« Crâne Chaud - Nathalie Quintane - Editions P.O.L »

Crédits : Nathalie Quintane

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La vidéo de Crâne chaud de Nathalie Quintane est désignée comme « bande-annonce ». Elle relève du book trailer et décline en effet quelques-uns des codes de la bande-annonce de livre, eux-mêmes empruntés aux bandes-annonces cinématographiques.

Nathalie Quintane, « Crâne chaud. Éditions P.O.L », 23 septembre 2012

On y découvre trois petites séquences, très courtes, suivies d’un carton final où se lisent les informations attendues sur le livre à venir. Dans de nombreux book trailers, la vidéo met en images des fragments de situations extraites du livre, ou évoque par divers procédés une atmosphère, lorsque le texte en surimpression s’affiche progressivement, et inscrit le livre à venir dans un genre donné, à l’instar d’une quatrième de couverture. L’inscription générique vaut comme étiquetage. La vidéo de Nathalie Quintane se découpe en trois séquences mettant en scène l’autrice dans trois situations : en train de chanter (faux), accompagnée d’un ukulélé dans une chambre, dans un jardin en peignoir et lunettes lisant à voix haute un récit que l’on devine sulfureux dans un magazine féminin, brossant son chat sur un bureau. À chacune de ses séquences sont associés un substantif et un adjectif désignant un genre : « fantaisie », « fantaisie réaliste » et « fantaisie réaliste critique ». Chaque séquence viendrait alors illustrer une partie de ce genre hybride. L’appellation est reprise par la quatrième de couverture :

Crâne chaud parle d’amour, non au sens de j’aime les vacances ou j’aime mon chat, mais au sens plus précis de sentiment sexuel. Comme le genre n’est jamais simple à dire, on pourrait avancer que ce livre est une fantaisie, ou plutôt une fantaisie réaliste, ou encore une fantaisie réaliste critique.

Le genre créé ad hoc appellerait une promotion à son image : si l’on retrouve dans la vidéo le motif des vacances (l’autrice en peignoir) et celui du chat, la « fantaisie » serait illustrée par le chant au ukulélé, le « réalisme » par la situation non glamour de la deuxième séquence, en contraste avec le contenu du récit lu à voix haute, et la critique par le brossage du chat relativement récalcitrant. L’aspect amateur de la vidéo et les situations familières nous emmènent loin des atmosphères et de l’esthétique léchée des book trailers : on peut bien sûr y voir une parodie, les situations étant particulièrement familières, peu spectaculaires, à l’opposé des scènes traditionnellement mises en avant pour susciter l’intérêt. Mais cette esthétique est, aussi, fidèle à la poétique volontairement terre à terre et idiote de Nathalie Quintane, dont le livre prend pour point de départ les émissions de Brigitte Lahaye sur la sexualité pour aborder ce qu’elle nomme « le sentiment sexuel ». L’aspect comique du livre est ici mis en évidence.

Les autres vidéos envisagées se nomment quant à elles teasers. Particulièrement développé sur Internet, le teaser vidéo au format très court se définit selon les lexiques du marketing comme « un outil de communication marketing cherchant à produire de l’intérêt pour un projet, en suscitant la curiosité » (« Dictionnaire du marketing » s. d.). Provenant du verbe anglais to tease, il apparaît avant le trailer, ne dévoile que quelques indices sur le contenu de la campagne ou du produit, et permet « d’accrocher le consommateur sur le projet à venir, en le plaçant devant un questionnement par le biais d’informations séduisantes mais incomplètes, l’incitant à découvrir la suite » (« Dictionnaire du marketing » s. d.). La vidéo promotionnelle de Tomates (Quintane 2010) s’ouvre ainsi sur une image de la couverture ou page de titre du livre, reprenant le graphisme propre à l’éditeur, ainsi que son logo, indiquant là encore clairement son statut péritextuel.

« Nathalie Quintane-Tomates »

Crédits : Nathalie Quintane

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Le lecteur familier des vidéolectures diffusées par P.O.L attend une lecture à voix haute d’extraits du livre, conformément à ce qu’elles proposent ordinairement. Pourtant ce qui apparaît sur la vidéo est pour le moins déroutant : nous y voyons l’autrice, à nouveau, assise sur une chaise, dans un jardin. Muette et face caméra, elle attrape des tomates qu’une personne hors champ lui lance et entreprend d’en découper une. Un extrait du texte est lu en voix off, par elle-même, énonçant un enchaînement de remarques de type syllogistique. La première impression qui ressort du visionnage de la vidéo est celle d’une forme de discordance : si le motif de la tomate évoqué par le titre est illustré de façon littérale par la présence de tomates à l’écran, la relation entre l’image et le texte reste pour le moins opaque. Elle s’explique dans le livre : Tomates tourne en effet autour de l’affaire de Tarnac, lors de laquelle le militant anticapitaliste Julien Coupat avait été arrêté (2008) pour préparation d’activités terroristes - sa collaboration au livre L’Insurrection qui vient aurait constitué un acte préparatoire au sabotage d’une ligne de TGV - et les livres saisis par les autorités présentés comme des preuves. L’affaire de Tarnac pose ainsi le problème de la pression du pouvoir sur la liberté d’expression, en littérature et dans le domaine privé. Les faux syllogismes énoncés par la voix off interrogent cette jonction de l’individuel et du collectif, dénoncent la logique absurde qui tient lieu de politique sécuritaire, selon laquelle « toute action domestique se trouve susceptible d’être emportée par les besoins sécuritaires publics » (Lynch 2015) :

Des anarchistes ont écrit des livres. Des anarchistes ont lancé des bombes. Il y a parmi ceux qui écrivent des livres des gens qui lancent ou lanceront des bombes. Fumer tue. Quand on est à côté d’un fumeur, on fume. Les fumeurs sont des assassins (Quintane 2010).

De la même manière, le début du livre conçoit la tomate comme cet objet de la vie privée susceptible d’être emporté dans des problématiques politiques : Quintane s’y met en scène dans son jardin à la campagne, où elle vit, se posant la question du choix de graines industrielles ou non industrielles et, par extension, à « l’alternative entre le système politique tel qu’il est ou sa transformation radicale » (Lynch 2015). Dans ce texte, Quintane se met ainsi en position de cobaye à la frontière entre les domaines public et privé pour tester leur imbrication à partir de la tomate. Si ces relations entre d’une part la tomate et l’affaire de Tarnac et de l’autre les considérations sur les relations de l’individuel au collectif, mais aussi sur les pouvoirs réels de la littérature, se tissent au long du livre, elles restent implicites dans la vidéo, qui se caractérise en premier lieu par l’incongruité de la situation, et la discordance manifeste entre le texte énoncé et ce que l’on voit à l’image. En ce sens, le petit film fonctionne effectivement selon les principes du teaser : il livre des informations incomplètes, suscite l’intérêt et la curiosité, suggérant que c’est dans le livre que le lecteur trouvera la clé de l’énigmatique association tomate/terrorisme.

Les cinq vidéos réalisées pour la sortie de Descente de médiums fonctionnent davantage encore sur le mode de l’énigme. On y retrouve une construction semblable, de séquences très courtes s’achevant sur un carton informationnel. Mais ce dernier est déjà détourné, et les informations y apparaissent comme cryptées : le nom de l’autrice, le titre, la date et le nom de l’éditeur sont remplacés par des initiales, formant une sorte de nom de code : NQDDM2014POL. Les titres des vidéos sont eux aussi inscrits de façon cryptique : « Pol.aroïd », « Pol.ogne », « Anthro.Pol.ogie », « Pol.itique » et enfin « Pol.universitaire », faisant apparaître à l’écrit seulement les initiales de l’éditeur.

« Nathalie Quintane Pol.aroïd »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol.ogne »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane AnthroPol.ogie »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol itique »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol.universitaire »

Crédits : Nathalie Quintane

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Là encore, les zones d’ombre s’éclairent à la lecture du livre. Tous les extraits dits ou joués y sont présents, de même que toutes les figures évoquées : Hugo, le philosophe pragmatiste Jean-Pierre Cometti, et Ted Serios, inventeur des « photographies de pensée », au point de départ de l’ouvrage, dans lequel Quintane évoque la possibilité de réaliser des « polaroïds de pensée ». Leur liaison s’opère dans le livre mais les vidéos fonctionnent comme un faisceau d’indices, singeant à leur tour une écriture ésotérique. Contrairement aux autres vidéos, l’autrice ne se met pas en scène dans cet ensemble.

Patrick Bouvet n’apparaît quant à lui à l’écran d’aucune de ses vidéos. Composés du montage d’images empruntées à l’histoire du cinéma, systématiquement accompagnés de musique, les teasers tendent davantage vers l’esthétique du vidéoclip. Le teaser de Pulsion lumière donne ainsi à voir une superposition de plans, montrant une femme dansant, en semi transparence, dont l’image vient se superposer à de nombreux extraits plus ou moins reconnaissables comme tirés de classiques du cinéma hollywoodien des années 1970 (les hélicoptères d’Apocalypse Now, puis les zombies de La Nuit des mots vivants lorsque l’écran s’assombrit).

« PATRICK BOUVET | Pulsion Lumiere (teaser) »

Crédits : Patrick Bouvet et Térence Meunier

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La vidéo semble ainsi illustrer en image le contenu de Pulsion lumière, livre sur le cinéma, dont la figure centrale est une femme non identifiée, réduite à un pronom, « elle », aux contours flous, presque fantomatiques, qui traverse l’histoire du cinéma.

Patrick Bouvet, « Pulsion lumière », 23 février 2012

Dans le clip de Petite histoire du spectacle industriel, le texte inscrit à l’écran en surimpression d’une séquence empruntée aux études sur le mouvement d’Étienne Jules Marey, l’un des pionniers de la chronophotographie, ancêtre du cinéma, et montée en boucle dans un rythme hypnotique, semble thématiser le fonctionnement spectaculaire même du teaser :

Les spectateurs plongés dans un état somnambulique laissent pénétrer en eux cette reproduction du monde il n’y a qu’une fine pellicule entre le monde et sa copie l’attraction est irrésistible.

Bien que singulières dans leur esthétique, ces vidéos semblent ainsi remplir leur contrat promotionnel : bandes-annonces, elles annoncent leur genre, teasers, elles suscitent l’intérêt et la curiosité en ne livrant que des fragments, dont on infère que la lecture des livres à venir permettra de relier et d’éclairer. Pourtant, il est certains dysfonctionnements, tant dans leur mode de diffusion que dans leurs contenus, qui font dérailler cet objectif publicitaire et amènent à reformuler la question de la relation entre ces vidéos et les livres qu’elles sont censées promouvoir.

Anti-teasers ? Vidéopoèmes et intermédialités

Revenons tout d’abord sur leur mode de diffusion : nous avons dans un premier temps signalé que ces vidéos se nommaient « teaser » ou « bande-annonce » dans les éléments textuels entourant directement la vidéo. Mais sur Internet, l’édition est indissociable de l’éditorialisation, et ce n’est pas parce qu’un objet se nomme publicité qu’il est destiné à rester une publicité : le fonctionnement pragmatique de la publicité est foncièrement relié à ses modalités de circulation médiatique. Or l’observation de ces modalités révèle un certain nombre d’ambiguïtés. Dans les médias dits traditionnels, les publicités sont visibles dans des espaces plus ou moins clairement identifiés, bornés par exemple, à la télévision française ou au cinéma, par un générique de début et de fin. Sur le Web, différentes stratégies sont possibles : la publicité vidéo se glisse dans les bannières, fenêtres pop-up, ou encore sur des sites d’annonceurs, ainsi que sur des plateformes de partage vidéo comme YouTube. Ce sont ces deux derniers modes que l’on retrouve de la façon la plus systématique pour la diffusion des book trailers. Ainsi par exemple Gallimard diffuse des vidéos promotionnelles sur sa chaîne YouTube, à son nom, et souligne, sur son site, le caractère paratextuel des vidéos en les faisant apparaître dans son catalogue numérique sous une rubrique « Autour du livre » : le lien permet de visionner la vidéo soit sur le site, soit sur la plateforme. Il en va de même pour les éditions du Seuil par exemple. Le site de P.O.L, dont certaines vidéos nous occupent ici, regroupe quant à lui les « vidéolectures » et entretiens sous un onglet séparé, nommé « Vidéos et sons », où les vidéos peuvent être recherchées par noms d’ouvrages ou d’auteurs : là encore l’usager est renvoyé vers une chaîne YouTube, la plupart du temps celle de Jean-Paul Hirsch, et fait facilement et clairement le lien entre la vidéo et son émetteur qu’est la maison d’édition.

Site Internet des éditions P.O.L (consulté le 30 septembre 2022)
Chaîne YouTube de Jean-Paul Hirsch (consultée le 30 septembre 2022)

Or dans les cas qui nous occupent, la source de la publicité n’est pas la maison d’édition, mais l’auteur lui-même. Si les vidéos de Quintane sont bien répertoriées sur le site de P.O.L, les teasers de Tomates et Crâne chaud figurent sur des chaînes YouTube n’appartenant pas à Jean-Paul Hirsch. La chaîne de ce dernier abrite quant à elle, pour les mêmes ouvrages, des vidéolectures et des entretiens plus traditionnels. Patrick Bouvet a fait paraître ses ouvrages aux éditions de l’Olivier. Mais les éditions de l’Olivier ne produisent pas de book trailers, ni de vidéos promotionnelles d’aucune sorte, cela ne fait pas partie de leur stratégie promotionnelle, davantage axée sur les rencontres en librairie par exemple. De fait, les vidéos promotionnelles des livres de Patrick Bouvet à l’Olivier ne sont pas accessibles depuis les pages du catalogue en ligne consacrées aux livres concernés.

Site Internet des éditions de l’Olivier (consulté le 30 septembre 2022)

Elles sont publiées sur la chaîne YouTube du musicien et monteur vidéo Térence Meunier, avec lequel elles sont co-réalisées. Les modalités de circulation de ces vidéos apparaissent comme désolidarisées des visées promotionnelles des maisons d’éditions concernées : il s’agit donc de ce que Rasmus Grøn (2014) a identifié comme des book trailers d’auteurs, d’auto-promotion, et ce alors même que ces auteurs ne sont pas autopubliés.

L’environnement éditorial dans lequel ces objets circulent est donc un environnement fluide, changeant, instable et relativement flou. Lorsqu’elles sont visionnées depuis YouTube, ces vidéos ne sont plus reliées à un contexte éditorial (contrairement aux vidéos diffusées par Gallimard qui sont accessibles depuis la chaîne YouTube de Gallimard) et cohabitent même, sur certaines chaînes, avec d’autres vidéos qui n’ont pas de vocation publicitaire : nombre de poètes vidéastes se sont en effet emparés de la plateforme pour y diffuser des œuvres de manière directe, dans un geste relevant d’une culture de la participation (Burgess et Green 2009). Ce geste contribue à sortir, précisément, de la traditionnelle chaîne du livre, d’une manière comparable à celle dont les poésies de performance ont développé des œuvres hors des circuits traditionnels. Or Nathalie Quintane comme Patrick Bouvet sont précisément des auteurs dont l’œuvre se déploie dans le livre, mais aussi hors du livre, en performance et lectures, et en vidéo.

Par ailleurs, ces deux auteurs, bien qu’esthétiquement et poétiquement très éloignés, partagent un positionnement critique à l’égard de la société spectaculaire et marchande, que l’on retrouve de façon parfois affirmée au sein de leurs œuvres. Patrick Bouvet construit ainsi son œuvre poétique à partir de la reprise, du détournement et du montage d’images et de discours empruntés aux médias de masse et aux slogans publicitaires : de Direct, dans lequel il interrogeait en 2001 les représentations télévisées du 11 septembre (2002), à Canons en 2007, où c’est le milieu de la mode qui est radiographié (2007), puis Pulsion lumière, qui prend pour sujet le cinéma hollywoodien (2012), Bouvet travaille au démontage des représentations véhiculées par les médias et la publicité. Ces thématiques sont aussi abordées dans des poèmes sonores et des vidéopoèmes, dont notamment l’hypnotisant « Retardez », réalisé, comme les teasers que nous examinons, avec Térence Meunier, à partir d’images des néons de François Morellet et John Armleder et de slogans publicitaires pour les crèmes antirides. L’œuvre de Nathalie Quintane se positionne quant à elle de manière politique et, réfléchissant aux modes d’action possible de la littérature, elle critique, précisément dans Tomates, ce qu’elle nomme la logique « binguesque » de certaines formes littéraires, qui tablent sur un principe marchand pour prétendre agir :

Le mode d’action d’un livre n’est pas binguiste ni festif ; sa performativité spécifique n’est ni binguiste ni festive. Je sais bien que les livres qu’on remarque sont souvent conçus en termes binguistes pour produire un Bingo ! chez le lecteur, l’éditeur, les médias et toute la chaîne-du-livre… […] aujourd’hui, un livre de littérature bon peut se concevoir binguiennement, tout replié sur lui pour produire l’élan typique qui le projette en tête de gondole, et sidère les gondoles, et dispatche les petits cœurs post-it scrupuleusement remplis par les libraires d’adjectifs binguiens tels que jubilatoire, savoureux, etc., et tous ces mots culinaires avec lesquels en France on décrit la littérature (2010).

Ces positionnements comme les modalités de circulation médiatiques de ces vidéos posent question : s’agit-il vraiment d’auto-promotion ? s’agit-il uniquement d’auto-promotion ? ou les appellations de « teaser » et « bande-annonce » affichées sont-elles, au moins partiellement, de l’ordre du pastiche, voire pour Quintane de la parodie ? S’il est difficile de répondre par l’affirmative, compte tenu notamment des temporalités de publication et des effets rhétoriques réels à l’œuvre, il n’en reste pas moins que ces objets amènent à se poser la question, et, partant, à reconsidérer les relations qu’ils entretiennent tant avec les livres promus qu’avec le reste de l’œuvre de ces poètes.

Vidéo et formes transmédiatiques : une esthétique du vidéoclip ?

Le statut de la vidéo par rapport au livre est ainsi ambigu, à la fois objet publicitaire revendiqué par l’appellation de « teaser », mais aussi pièce autonome, témoignant dans son esthétique d’une écriture transmédiatique.

Écrivain, mais aussi musicien et plasticien, Patrick Bouvet use dans son écriture poétique de procédés empruntés à d’autres sphères artistiques. Les opérations d’écriture auxquelles se livre le poète sont issues de la musique électronique, par l’usage du sample, mais aussi du cinéma et de la vidéo par le biais du montage. Travaillant les mythes de la société spectaculaire, marchande et médiatique, son écriture est par ailleurs tout entière tournée vers l’image médiatique. Petite histoire du spectacle industriel place ainsi toutes les évocations dans l’œil des omniprésents « spectateurs » et ses livres se déploient comme autant d’installations, de dispositifs visuels qui travaillent l’image. Ce sont ces mêmes procédés, associés à une musique elle aussi travaillée par ces techniques d’échantillonnage, qui sont mis en œuvre dans les vidéos ici considérées. Ainsi dans « Petite histoire du spectacle industriel » (la vidéo), l’image empruntée et la séquence montée en boucle créent un rythme hypnotique, mais la pellicule vieillie, abîmée, signale la présence du médium, cette « fine pellicule » évoquée par le texte inscrit en surimpression.

Patrick Bouvet, « Petite histoire du spectacle industriel (teaser) », 8 février 2017

L’association du texte et de l’image, l’emprunt d’images cinématographiques et l’animation du texte par la succession des plans rapprochent cette forme de celle des « cinépoèmes » et « films parlants » de Pierre Alferi. Or ces vidéos sont elles-mêmes projetées lors des performances données par le poète, comme par exemple en 2013 à Maison Rouge pour Pulsion lumière. La relation d’adaptation ou d’interprétation supposée par le book trailer, comme mise en images et sons d’un texte existant, n’est ici pas effective, et les vidéos produites sont ainsi davantage à considérer comme partie d’un dispositif pluri- et trans-médiatique.

Leur statut se rapprocherait peut-être alors davantage de celui du vidéoclip, en raison de leur esthétique et de la présence de musique, mais aussi du fait du statut assez comparable du vidéoclip, au départ forme purement promotionnelle, devenu genre à part entière doté d’une autonomie créatrice. En effet, comme « format culturel et médiatique », le clip se définit de façon fonctionnelle, comme « une composition d’images qui se superpose à un morceau musical préexistant afin d’en assurer la promotion auprès du public d’un canal régulier de diffusion mass-médiatique » (Gaudin 2015), aujourd’hui largement déplacé sur la première plateforme de streaming vidéo qu’est YouTube. Mais, poursuit Antoine Gaudin, le vidéoclip se définit aussi d’un point de vue structurel, et « peut aussi être considéré comme le prolongement sur d’autres médias d’une seconde série culturelle plus marginale, qui passe par tout un courant du cinéma expérimental au XXe : le visible façonné par le sonore musical » (Gaudin 2015). Le clip poétique serait autant une manière de prolonger les investigations liées aux relations entre poésie, son et musique sur le terrain de l’image animée, que de faire circuler la poésie dans des circuits éditoriaux hétérogènes comme le sont ceux de l’industrie musicale, en se fondant dans une forme populaire transmédiale, inscrite dans « nos pratiques médiatiques quotidiennes » (Kaiser et Spanu 2018) par leur consultation sur tablette, smartphone, etc… Le terme de « clip » est d’ailleurs utilisé dans la description de la vidéo et Patrick Bouvet apparaît dans la réalisation d’autres clips par Térence Meunier, indépendants de ses textesVoir « collapstore – the line », clip de Patrick Bouvet et Térence Meunier, indubitablement, 7 novembre 2012.
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. On trouve également, sur le site de l’auteurVoir également la présentation du livre sur le site de l’auteur : fuirestunepulsion.net.↩︎, le terme de « clip » pour désigner les cinq vidéos publiées en guise de teaser sur la chaîne YouTube de Guillaume Vissac. Ce que l’on pourrait appeler le vidéoclip poétique, issu de l’association d’un poète et d’un musicien, est une forme relativement récurrente sur la plateforme, comme on peut le voir chez Anne-James Chaton, dont les collaborations avec Andy Moor, notamment pour l’album Transfer en 2012, ont donné lieu à une publication de singles sur le label Unsound, et à la réalisation, pour chacun d’eux, de plusieurs vidéoclips par la cinéaste et vidéaste Bani Khoshnoudi. Les cinq clips ne sont cependant pas visibles à partir du site du label, mais des chaînes YouTube des auteursPar exemple « Metro », sur la chaîne YouTube d’Anne-James Chaton.
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, indexés de manière à renvoyer aux singles en vente sur le site.

Anne-James Chaton et Andy Moor, « Métro », 9 novembre 2012

Également investi par Laura VazquezPour le projet TSUKU avec Simon Allonneau : « TSUKU - Les yeux des ombres », Laura Vazquez, 18 juin 2019 (cette vidéo n’est plus disponible).↩︎ ou encore Boris Crack« 3 assureurs », Boris Crack, 3 juillet 2017.
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, qui n’hésite pas, quant à lui, à intégrer des clips musicaux issus de YouTube dans son hyperfiction Bocciclub, le genre du vidéoclip poétique signale un déplacement vers des formes audiovisuelles médiatiques populaires, omniprésentes dans l’industrie musicale et sur YouTube qui en est désormais le principal espace de publication.

Vidéo et formes transmédiatiques : le film du livre du film ?

Nathalie Quintane est également pour sa part familière du format vidéo : elle a notamment réalisé plusieurs films avec l’artiste Stéphane Bérard, dont Mortinsteinck en 1998 qui a donné lieu à la parution d’un livre éponyme en 1999, sous-titré « Le livre du film ». Le livre se donnait comme une collection de « morceaux de scénario, fragments de conversations, bribes de reportages… » et cherchait selon l’autrice à reproduire l’effet de « la vidéo ordinaire S-VHS » en travaillant à produire « une image de moins, défectueuse, hétérogène, ouverte » (1999). Quintane apparaissait d’ailleurs dans le film de Bérard travaillant un jeu « dégonflé », « jouant à jouer faux réaffirmant le faux dans tous ses sens : faux rythme, jouer faux, faux raccords, chanter faux, faux mouvement », style de « jeu » que l’on retrouve dans les vidéos teaser. Dans Descente de médiums, il est question de versions antérieures du livre que nous lisons. Le livre porte aussi sur ces versions avortées. Or l’une de ces versions antérieures est le scénario d’un film, dont on apprend qu’il a bien été tourné :

Dans une troisième version, quelqu’un qui était moi mais qui n’était pas moi le rencontrait (c’était un scénario qui adaptait la deuxième version). Enfin, dans la vidéo tirée du scénario, un copain jouait Serios […], et, comme dans la vraie vie de Ted, il rencontrait un universitaire à l’objet d’étude irréprochable : Jean-Pierre Cometti, un spécialiste de Wittgenstein, puis du pragmatisme, qui venait de publier chez Gallimard, en « Folio », « Qu’est-ce que le pragmatisme ?» Cometti expliquait à une doctorante baba comment il allait procéder pour détourner des subventions, tout en dénigrant des collègues aux noms d’hôtels de luxe, dans le but unique de faire passer des tests à Ted afin de vérifier que les polas étaient bien des photos de ses pensées. Bref, l’universitaire se mettait au cognitivisme, un cognitivisme révolutionnaire (2014).

Voilà décrite en partie la vidéo « Pol.universitaire », dont on comprend alors qu’elle n’est pas tirée du livre. De la même manière, les dialogues des petits sketchs de « Anthro.Pol.ogie » et « Pol.ogne» sont présents dans le livre, mais on comprend qu’il s’agit des résidus d’un autre livre, la version 3 qui était le scénario du film sur Serios. Le film vidéo est donc en réalité une version de l’œuvre, et non l’adaptation a posteriori d’un texte prévu pour le livre comme c’est le cas dans un book trailer traditionnel. Quant à la vidéolecture de Tomates, il s’agit d’un détournement du format habituel de la lecture face caméra, qui tire du côté de la vidéoperformance, mettant en avant le geste, la disjonction entre une voix et un corps en action, le tout selon un mode de filmage commun, standard, frontal voire légèrement bancal. S’y met en scène moins une figure d’écrivaine que de performeuse, ainsi qu’une esthétique de l’approximation, de l’insignifiance, en lien avec l’écriture.

À propos de Mortinsteinck, Quintane écrit :

Le film (le livre) peut se construire avec ce qui a priori n’aurait même pas du y figurer, avec ce qui le dénature, le fausse, le contrefait. Ces éléments hétérogènes […] font du livre, du film, une chose déplacée, trop maladroite pour entrer dans le cadre général des fictions, pas assez incorrecte thématiquement et formellement pour intégrer celui des productions expérimentales. Le film n’est pas insolent. Il est incongru (1999).

Des choses déplacées, c’est précisément ce que sont les vidéos de Nathalie Quintane : trop maladroites et formellement incorrectes pour intégrer le cadre général des films promotionnels, mais pas assez pour rejoindre celui des vidéopoésies expérimentales. Mais aussi déplacées dans leur rapport au livre, alimentant, à l’instar de son écriture, « le conflit entre les mots et les choses, la connaissance et la bêtise, la réussite et le ratagePrésentation de l’autrice sur le site d’Atelier 10.↩︎ » : aux antipodes d’une esthétique publicitaire fondée sur l’attrait, la séduction et des moyens rhétoriques.

Si, tout au long du XXe siècle, les poésies expérimentales ont entretenu des relations avec la publicité, sur le mode du détournement critique mais aussi de l’emprunt esthétique de formes, les nouvelles formes de publicité littéraire, marquées par le passage de l’image fixe à l’image animée que représente le genre du book trailer, ainsi que les nouvelles modalités de circulation de la publicité littéraire sur le Web interrogent à nouveaux frais ces relations. Entre auto-promotion auctoriale et vidéopoésie, les objets en circulation sur les réseaux déplacent ce questionnement, travaillent aux frontières des genres, publicitaires, littéraires et artistiques. François Bon, nous le rappelions en introduction de ce chapitre, proposait à propos des vidéos de Nathalie Quintane le terme d’anti-teaser, au prétexte qu’ils « assumaient l’écart de création ». L’opposition entre discours publicitaire et création qui sous-tend cette affirmation est un peu rapide : le développement de formes comme le vidéoclip, dont la vocation promotionnelle est indissociable d’une indéniable créativité, nous a par exemple montré que la ligne de partage entre genres communicationnels et genres artistiques ne pouvait se situer à ce niveau. YouTube, comme plateforme de streaming dominante, héberge des formes audiovisuelles répondant à des visées promotionnelles éditoriales, témoignant de nouvelles formes de circulation du littéraire investi par un péritexte intermédial. Mais cet espace, ouvert, met aussi en circulation des formes aux assignations floues et devient le terrain d’expérimentations vidéopoétiques.

Contenus additionnels

« PATRICK BOUVET | Carte son (teaser) »

Crédits : Patrick Bouvet et Térence Meunier

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« PATRICK BOUVET | Petite histoire du spectacle industriel (teaser) »

Cette vidéo a été archivée sur la plateforme Nakala pour garantir sa pérennité. Voir la vidéo sur YouTube.

Crédits : Patrick Bouvet et Térence Meunier

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« PATRICK BOUVET | Pulsion Lumiere (teaser) »

Crédits : Patrick Bouvet et Térence Meunier

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« Accident de personne : “tout piétiner” » de Guillaume Vissac

Cette vidéo a été archivée sur la plateforme Nakala pour garantir sa pérennité. Voir la vidéo sur YouTube.

Crédits : Guillaume Vissac

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« Crâne Chaud - Nathalie Quintane - Editions P.O.L »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane-Tomates »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol.aroïd »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol.ogne »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane AnthroPol.ogie »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol itique »

Crédits : Nathalie Quintane

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« Nathalie Quintane Pol.universitaire »

Crédits : Nathalie Quintane

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Références
Bon, François. 2014. « Un pari Quintane, Hugo vous dit 600 fois merci ». le tiers livre, web & littérature. https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3941.
Bouvet, Patrick. 2002. Direct. Littérature française. Éditions de l’Olivier. http://editionsdelolivier.fr/catalogue/9782879293363-direct.
———. 2007. Canons. Éditions de l’Olivier. http://editionsdelolivier.fr/catalogue/9782879295718-canons.
———. 2012. Pulsion lumière. Littérature française. Éditions de l’Olivier. http://editionsdelolivier.fr/catalogue/9782879299785-pulsion-lumiere.
———. 2014. Carte son. Littérature française. Éditions de l’Olivier. http://editionsdelolivier.fr/catalogue/9782823604214-carte-son.
———. 2017. Petite histoire du spectacle industriel. Littérature française. Éditions de l’Olivier. http://editionsdelolivier.fr/catalogue/9782823610215-petite-histoire-du-spectacle-industriel.
Burgess, Jean, et Joshua Green. 2009. YouTube : online video and participatory culture. Polity Press.
Decaux, Sylvie, et Xavier Sense. 2012. « La littérature à l’épreuve du Web publicitaire. Le cas du Book trailer ». In Littérature et publicité de Balzac à Beigbeder, édité par Laurence Guellec et Françoise Hache-Bissette, 401‑11. Marseille: Éditions Gaussen. https://sites.google.com/site/gausseneditions/company-blog/publication/litterature-et-publicite?#.
« Dictionnaire du marketing ». s. d. Journal du Net. Consulté le 19 octobre 2022. https://www.journaldunet.fr/business/dictionnaire-du-marketing/.
Gaudin, Antoine. 2015. « Le vidéoclip, un art populaire intermédial à l’ère numérique : enjeux épistémologiques ». MEI - Médiations et information, nᵒ 39: 167‑76. https://mei-info.com/wp-content/uploads/2016/12/MEI39-169-179-Le-videoclip-un-art-populaire.pdf.
Grøn, Rasmus. 2014. « Literary experience and the book trailer as intermedial paratext ». SoundEffects - An Interdisciplinary Journal of Sound and Sound Experience 4 (1): 90‑107. https://doi.org/10.7146/se.v4i1.20330.
Julienne-Ista, Heiata. 2020. « Créer des vidéos pour vendre des livres ? Promotion et autopromotion de la poésie contemporaine sur YouTube ». Acta fabula, septembre. https://www.fabula.org:443/colloques/document6275.php.
Kaiser, Marc, et Michaël Spanu. 2018. « On n’écoute que des clips !” Penser la mise en tension médiatique de la musique à l’image ». Volume ! La revue des musiques populaires 1 (14 : 2): 7‑20. https://doi.org/10.4000/volume.5658.
Lynch, Eric. 2015. « Nathalie Quintane : « Nous », le peuple ». Marges. Revue d’art contemporain, nᵒ 21 (octobre): 96‑105. https://doi.org/10.4000/marges.1037.
Puff, Jean-François, éd. 2015. Dire la poésie ? Nantes: Cécile Defaut.
Quintane, Nathalie. 1999. Mortinsteinck. Le livre du film. Paris: P.O.L. https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=2-86744-729-1.
———. 2010. Tomates. Paris: P.O.L. https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-0622-1.
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Rosenthal, Oliva, et Lionel Ruffel, éd. 2010. La littérature exposée. Les écritures contemporaines hors du livre. Vol. 4 / 160. Littérature. Paris: Armand Colin. https://www.cairn.info/revue-litterature-2010-4.htm.
Vissac, Guillaume. 2018. Accident de personne. Othello.