Faciliter la création de connaissances
R. David Lankes, « Faciliter la création de connaissances », Exigeons de meilleures bibliothèques (édition augmentée), Les Ateliers de [sens public], Montréal, isbn:978-2-924925-09-6,
http://ateliers.sens-public.org/exigeons-de-meilleures-bibliotheques/chapitre4.html.
version 1, 28/10/2019
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)
C’était un hiver inhabituellement chaud à Syracuse. Malgré tout, il faisait plutôt froid quand j’ai pris le chemin de la Free Library de Fayetteville avec mes deux garçons, Riley et Andrew (respectivement âgés de 11 ans et 8 ans). Fayetteville est une banlieue cossue de Syracuse, dont la Free Library, installée dans l’ancienne usine de meubles Stickley, a été honorée de nombreux prix. Les garçons et moi étions en route pour rencontrer Lauren Britton, bibliothécaire à Fayetteville. Nous allions la voir pour qu’elle nous montre comment fonctionne l’impression 3D.
Quelques mois plus tôt, Sue Considine, directrice de la Free Library de Fayetteville, avait annoncé en grande pompe la création d’un fab lab à la bibliothèque. Il serait désormais possible, pour les membres de la communauté,
de travailler avec des imprimantes 3D et, éventuellement, avec d’autres équipements
de fabrication assistée par ordinateurPour des initiatives de ce type au Québec, voir le Square de la BAnQ et le MédiaLab de la Bibliothèque de Québec.
. Lauren Britton avait conçu ce projet alors qu’elle étudiait en bibliothéconomie, et maintenant elle
et Sue étaient chargées de le concrétiser.
Lauren avait installé l’imprimante 3D, le modèle Thing-o-Matic de la marque MakerBot (« Desktop 3D Printers - 3D Printers For Educators Or Professionals » 2009), dans la salle communautaire. C’est une boîte carrée plutôt étrange qui fait environ
60 centimètresLire l’annonce de la sortie de l’imprimante 3D Thing-O-Matic publiée en 2010 sur le site de MakerBot.
. Le MakerBot n’est pas une imprimante 3D haut de gamme. Les appareils haut de gamme
se vendent à des centaines de milliers de dollars en argent américain et sont utilisés
par des fabricants spécialisés à travers le monde. Le MakerBot, une machine dont le
code source est ouvert, coûte moins de 2000 dollars US, ce qui en fait un objet fort
prisé dans la communauté des makers. Un ordinateur portable était connecté à l’imprimante.
Pendant l’heure qui a suivi, elle nous a fait la démonstration des principales fonctionnalités de l’imprimante. Nous pouvions créer notre propre design ou télécharger un des milliers de modèles disponibles sur le Web. Nous avons commencé avec une bague. Mon fils Andrew l’a porté à l’école et s’est vanté à ses camarades de troisième année de l’avoir fabriqué à la bibliothèque. Riley, lui, s’est imprimé un robot.
Ce MakerBot ne pouvait imprimer que des objets dont la taille ne pouvait guère dépasser
plus de dix centimètres ; malgré tout, nous avons pu entrevoir le potentiel incroyable
de cette technologie. Imaginez un instant que la prochaine fois que vous aurez besoin
d’une pièce, que vous aurez une idée pour concevoir un nouveau gadget, ou même que
vous voudrez créer une réplique de votre statue préférée (Liszewski 2012), vous pourrez les imprimer, tout simplement. Vous n’êtes pas doué pour le design
3D ? Prenez quelques photos d’un objet en trois dimensions ou faites-le pivoter devant
votre console de jeux Xbox KinectVoir la présentation vidéo « Automatic Reconstruction of Personalized Avatars from
3D Face Scans » par M. Zollhöfer, M. Martinek, G. Greiner, M. Stamminger et J. Süßmuth
(leresistant, 2011, 3min25s) :
et faites simplement imprimer le nouveau modèle qui a été créé. Ce que je vous raconte
ici n’est pas de la science-fiction : ça se passe aujourd’hui.
Cette technologie existe donc déjà, mais nous devons nous demander : comment se fait-il que nous la trouvions à la bibliothèque ? Il ne s’agit pas d’une question rhétorique. Cette question a été posée par le conseil d’administration de la Free Library de Fayetteville, par quelques bibliothécaires de l’établissement et par une tonne de lecteurs et de lectrices sur Internet lorsque les activités du fab lab ont fait le tour des sites Web spécialisés en technologie.
Au lieu de répondre sans tarder à cette interrogation, j’aimerais d’abord élargir un peu la question. Après tout, je viens de consacrer un chapitre à affirmer que les bibliothèques ne relèvent pas que des livres - seraient-elles donc à propos des fab labs ? Si nous ne devons plus limiter notre définition de la bibliothèque aux collections et aux documents, comment donc la définir ? Si l’on doit s’attendre à ce que notre bibliothèque en fasse davantage, si une bibliothèque est plus qu’un entrepôt de livres, à quoi devrions-nous nous attendre ? Quelle est donc la fonction de la bibliothèque ?
La bibliothèque en tant que facilitatrice
Sommairement, l’action des bibliothécaires et des bibliothèques réside dans le fait de faciliter.
Je réalise que cette réponse peut décevoir. J’ai évoqué les révolutions en Égypte, les fab labs, j’ai défendu l’idée que nous devons être guidés par les aspirations de notre communauté. Toutes ces considérations semblent exiger l’emploi d’une formule plus éloquente, comme « favoriser l’autonomie », « défendre » ou « inspirer » nos communautés. Et, en effet, les bibliothèques devraient faire tout cela. Il faut se rappeler que la facilitation n’est qu’une facette de la mission plus générale de la bibliothèque. Permettez-moi de rappeler cette mission : « améliorer la société en facilitant la création de connaissances dans leurs communautés ». Le mot « améliorer » est essentiel. Pour améliorer quelque chose, il faut agir. Cela signifie que la facilitation est également une action. Faciliter, c’est ne pas s’asseoir et attendre qu’on nous demande quelque chose. Personne n’a jamais changé le monde en attendant qu’on lui demande quelque chose. C’est pourquoi vous devriez vous attendre à ce que les pratiques de facilitation menées par les bibliothécaires et les bibliothèques soient proactives, collaboratives et transformatives. Les bibliothèques et les bibliothécaires facilitent la création de connaissances en contribuant à rendre votre communauté plus intelligente.
Elles le font de quatre manières. Elles peuvent :
- Donner accès
- Offrir de la formation
- Assurer un environnement sécuritaire
- Pousser plus loin votre désir d’apprendre
J’ai déjà fait allusion à certains de ces rôles, notamment lorsque j’ai décrit les bibliothèques comme un filet de protection sociale. Chacun de ces moyens de facilitation peut être vu comme un obstacle à surmonter pour pouvoir apprendre. Premièrement, vous devez avoir accès à la connaissance ; ensuite, une fois que vous y avez accès, vous devez comprendre comment l’utiliser ; lorsque vous savez comment l’utiliser, vous devez pouvoir le faire en vous sentant en sécurité ; finalement, même si vous avez l’accès, les connaissances et le sentiment de sécurité, il faut tout de même avoir la motivation d’en faire usage.
Toutes les bibliothèques parviennent à fournir l’accès à la connaissance, premier volet de la facilitation, et toutes les bibliothèques visent à satisfaire les quatre volets, du moins en principe. Pourtant, plusieurs bibliothèques ne réussissent pas à atteindre les trois autres rôles, entre autres parce qu’elles considèrent la connaissance comme une commodité, donnent beaucoup trop d’importance à l’accès à la connaissance et encouragent la consommation du savoir bien plus que sa création. Si nos bibliothèques veulent continuer à desservir nos communautés, elles doivent parvenir à se dépasser sur tous les plans.
Qu’est-ce que la connaissance ?
Il serait facile de prendre ces quatre moyens de facilitation et de les saupoudrer de « livres », de « bases de données », ou de toute autre forme de documents. Trop de bibliothèques se contentent d’affirmer : « nous donnons accès à des livres, des bases de données et d’autres types de documents ». Ce n’est pas ce dont il est question ici. Ce qui m’intéresse, c’est que nous donnions accès à la connaissance, ce qui n’est pas la même chose que des ressources documentaires, des livres et des articles.
Voici ce que la connaissance n’est pas : ce n’est pas une accumulation calme et inerte de faits. Ce n’est pas une base de données d’articles ou un bâtiment rempli de livres. Sa valeur ne se calcule ni en poids ni en longueur. La connaissance n’est ni statique ni impartiale, et elle n’est assurément pas inanimée.
La connaissance est viscéralement humaine et intimement liée aux passions de l’individu. La connaissance est dynamique, en constante évolution et vivante. La connaissance nous pousse à nous interroger sur le monde, à nous comprendre les uns les autres et à remettre en question les fondements du réel. La connaissance est une force qui stimule l’économie et qui anime les artistes. Elle devrait pouvoir également inspirer les bibliothécaires dans la mise en œuvre de leurs services. Les connaissances progressent à l’intérieur de nos bibliothèques, nos universités, nos maisons, nos bars et nos voitures. En somme, la connaissance informe le regard que nous posons sur le monde et elle détermine nos façons d’agir.
Entrevoir la connaissance comme une structure en constante évolution est primordial dès lors que l’on veut inviter nos bibliothèques à se dépasser. Pour dire les choses simplement, si on considère que la connaissance réside dans les livres, les bases de données ou les articles, alors on veut faciliter la création de connaissances nouvelles en développant des collections de livres et en facilitant l’accès aux bases de données et aux articles qu’elles contiennent. Si, toutefois, on considère que la connaissance est en mouvance, créée par des personnes et des communautés, la fonction de la bibliothèque change radicalement : elle devient alors un espace d’apprentissage actif.
Cette vision dynamique de la connaissance et de l’apprentissage transforme la façon dont nous enseignons aux enfants dans les écoles. La période des exposés magistraux, longtemps considérés comme la meilleure méthode d’enseignement, est désormais révolue. De nos jours, les élèves participent au processus de création de la connaissance, ils et elles acquièrent de l’expérience pratique en travaillant sur des projets. Cette manière de faire est à l’œuvre partout, aussi bien en entreprise que dans l’armée. Les présentations PowerPoint d’une heure sont remplacées par des simulations et des jeux. Les sciences cognitives comme les sciences de l’éducation nous ont appris que les apprenant·e·s ne sont pas simplement des personnes assoiffées qui attendent qu’un orateur qualifié leur permette de s’abreuver de connaissances. Les apprenant·e·s agissent, ils créent constamment des liens inédits entre des idées ou des faits à leur propre bagage de connaissances. L’érudit·e qui se donne en spectacle a été remplacé·e par la figure du guide qui accompagne les apprenant·e·s. Les bibliothèques doivent également évoluer en ce sens.
Prendre acte de cette nouvelle compréhension de la connaissance, entendue comme une activité dynamique de construction du savoir, est probablement le plus grand changement à concrétiser pour avoir les meilleures bibliothèques possibles. Si je veux étendre mes connaissances, la bibliothèque doit m’assister dans l’accomplissement de cet objectif. Dans certains cas, évidemment, il me suffit de lire sur ce qui m’intéresse, mais dans bien d’autres situations, il n’est possible d’apprendre qu’en essayant, en s’exerçant et en explorant.
Buffy Hamilton sait déjà cela. Elle est bibliothécaire à l’« Unquiet Library » de Creekview High School à Canton, en Géorgie (dans la région d’Atlanta). Buffy consacre très peu de son temps à organiser la collection et à ranger des livres. Elle est trop occupée à faire du coenseignement dans le cadre du projet Media 21 (Hamilton 2012). Ce projet, elle le décrit ainsi :
La bibliothécaire de l’école et le professeur d’anglais de deuxième année ont collaboré à créer une expérience d’apprentissage participatif d’un semestre. Ils ont utilisé les médias sociaux et des solutions infonuagiques pour encourager l’acquisition de connaissances et leur recherche en mode collaboratif. En utilisant des outils comme Netvibes, Evernote et Google Sites, les étudiants ont blogué, contribué aux wikis du groupe, utilisé le partage de signets, créé des portefeuilles d’apprentissage et de recherche en faisant montre d’une utilisation éthique de l’information et des documents sous licence. Le programme a également été évalué et respecte les normes de performance de l’État de Géorgie et du référentiel de l’American Association of School Librarians (Hamilton 2011).
Et Buffy n’est pas la seule à faire cela. En 2011, Sue Kowalski, bibliothécaire à la Pine Grove Middle School de East Syracuse, dans l’État de New York, a vu sa bibliothèque être nommée « Programme national de l’année en bibliothèque
scolaire » par l’American Association of School Librarians. Pourquoi cet honneur ? Cela n’a rien à voir avec la collection ou l’architecture
de sa bibliothèque. On a plutôt reconnu la valeur des apprentissages effectués par
les élèves et la manière dont ces apprentissages se produisent dans tous les espaces
de l’école. Sue ne range pas les livres. Au lieu de cela, elle a créé une équipe d’élèves, la
iTeam, qui s’occupe de la collection de la bibliothèque, elle enseigne l’utilisation des
nouvelles technologies, elle dépanne le personnel enseignant aux prises avec des soucis
technologiques, et organise des événements à l’intérieur ou à l’extérieur de la bibliothèqueConsulter le site de la bibliothèque de Pine Grove Middle School.
.
Comment est-ce que les bibliothécaires scolaires de qualité — le genre de bibliothécaires scolaires que vous devriez trouver dans vos écoles — favorisent l’apprentissage ? Joyce Valenza, bibliothécaire à la Springfield Township High School, non loin de Philadelphie, a écrit un manifeste à ce sujet (Valenza 2012). Que devriez-vous attendre d’une ou d’un bibliothécaire scolaire en ce qui concerne la lecture ? Voici ce qu’elle écrit :
- Considérez de nouvelles façons de promouvoir la lecture. Mettez sur pied des projets pilotes et fournissez aux apprenant·e·s des livres audio téléchargeables et des liseuses numériques.
- Partagez des applications de livres numériques avec des étudiant·e·s pour leurs appareils mobiles.
- Promouvez des livres en utilisant des outils de réseautage social comme ShelfariCréé en 2006, Shelfari était une plateforme communautaire sur laquelle les internautes pouvaient créer leurs
bibliothèques virtuelles, partager, évaluer et commenter leurs lectures, échanger
leurs avis… Le site a fusionné avec Goodreads en 2016 (« Shelfari » 2019).
, Goodreads ou LibraryThing afin que vos élèves y aient accès et puissent les partager à leur tour. - Encouragez vos élèves à bloguer, tweeter ou réseauter d’une manière ou d’une autre à propos de leurs lectures.
- Faites en sorte que vos économiseurs d’écran favorisent la lecture plutôt que la marque des fabricants d’ordinateurs.
- Établissez un lien vers des collections de livres numériques gratuites et disponibles à l’aide d’outils tels que Google Livres ou la Bibliothèque numérique internationale pour enfants.
- Recensez et faites la promotion de livres dans vos propres blogues, wikis et autres sites Web.
- Intégrez des livres numériques à vos sites Web pour encourager la lecture et soutenir l’apprentissage.
- Travaillez avec les apprenants pour organiser des rencontres littéraires en ligne et les partager, ou créer des bandes-annonces de livres.
Et en matière de communication et de publication ?
- Sachant que la communication est la dernière étape du processus de recherche, enseignez aux élèves comment communiquer et participer de manière créative et engageante. Explorez de nouveaux outils de communication interactifs et attrayants pour les projets scolaires.
- Travaillez de façon collaborative et inclusive avec vos apprenants. Faites-leur une place. Affichez dans votre bureau ou sur le Web leurs travaux, leurs productions vidéo, leurs compositions musicales ainsi que leurs réalisations artistiques.
- Sachant que la publication numérique est accessible aux élèves, vous l’encouragez.
Joyce utilise une approche active et collaborative. Si vous lisez l’ensemble du document (que je vous recommande chaudement), vous verrez qu’il s’agit d’un modèle d’apprentissage très différent des exposés magistraux. Les bibliothécaires scolaires qui se distinguent par la qualité de leur travail ne font pas une besogne cléricale qui se limite à entretenir une collection. Ils et elles cherchent à développer des partenariats actifs qui sont au service de l’apprentissage. Les bibliothécaires scolaires exemplaires enseignent et aident les enseignant·e·s à peaufiner leurs expertises. Ces bibliothécaires — ceux et celles que vous devriez avoir dans vos écoles — accompagnent les élèves dans l’approfondissement des questionnements qui les intéressent et s’efforcent de dépasser les approches pédagogiques rigides, axées sur les évaluations et l’enseignement magistral.
Quels sont les avantages d’avoir ces professionnel·le·s dans vos écoles ? Des études sur le sujet montrent une augmentation du taux de rétention des élèves ainsi que des résultats scolaires plus élevés. Des études menées en Alaska, au Colorado, en Floride, en Indiana, au Massachusetts, au Michigan et en Caroline du Nord montrent toutes que le fait d’avoir des bibliothécaires scolaires diplômé·e·s dans les écoles contribue à améliorer les résultats aux examens uniformes. Une autre étude, conduite en Pennsylvanie, établit ceci :
La simple présence d’une grande collection de livres, de magazines et de journaux dans la bibliothèque de l’école ne suffit pas à faire augmenter la réussite scolaire des élèves. Ces collections ne font une différence positive que lorsqu’elles font partie d’initiatives à l’échelle de l’école qui vise à intégrer les compétences informationnelles aux programmes scolaires (« School libraries work! » 2008).
Ces meilleures performances scolaires ne sont pas simplement attribuables au fait d’avoir une salle nommée « bibliothèque » au sein de l’école. Elles ne sont pas non plus liées à la taille de la collection. Ces meilleures performances scolaires se résument à une variable : la présence d’un ou d’une bibliothécaire scolaire diplômé·e. Cela dit, la simple présence d’un ou d’une bibliothécaire ne suffit pas. Il ou elle doit être pleinement investi·e dans son rôle et dépasser la simple gestion du matériel en participant au coenseignement et en favorisant l’apprentissage des élèves.
Tout simplement : si votre école n’a pas de bibliothécaire scolaire, vous vous exposez au risque d’une baisse de performance scolaire. Cette réalité est documentée par la recherche. Votre école devrait viser plus haut. Vous avez un ou une bibliothécaire dans votre école, mais ne connaissez pas son nom ? Haussez vos attentes vis-à-vis de cette personne. Si vous enseignez et que vous ne savez pas comment la bibliothèque ou les bibliothécaires peuvent vous aider dans votre classe, soyez plus exigeant·e et demandez qu’on vous l’explique. Si vous faites partie de la direction et que vous entrevoyez la bibliothèque comme une simple salle d’étude, un service dont la seule fonction est de siphonner de l’argent pour acheter plus de livres, vous devez prétendre à vraiment beaucoup plus.
Pour une définition élargie de la facilitation
Que le soutien à l’apprentissage soit au cœur du rôle des bibliothécaires scolaires est tout à fait sensé, mais qu’en est-il pour les autres types de bibliothèques ? Revenons à notre question initiale : qu’est-ce qui constitue un service de bibliothèque ? Jetons à nouveau un coup d’œil aux quatre différents moyens de facilitation évoqués plus haut, mais cette fois en y ajoutant quelques éléments de définitions en phase avec la conception dynamique de la connaissance que je propose.
Donner accès
La vision classique de l’accès est celle de l’accès aux collections. Cette conception a été quelque peu actualisée pour référer à l’accès à l’information, bien que cette information soit souvent définie de manière purement fonctionnelle (des corpus de textes, d’images et de documents, qu’ils soient numériques ou imprimés). Cette vision de l’accès est problématique, car elle est à sens unique. Trop de bibliothèques définissent l’accès comme un accès à ses seules collections. Attendez-vous à ce que votre bibliothèque fasse mieux que cela. Attendez-vous à ce qu’elle propose à votre communauté une plate-forme où vous pourrez également accéder aux idées d’autrui, de même qu’une plate-forme permettant aux autres d’accéder à vos propres idées.
Joan Frye Williams , bibliothécaire et consultante en bibliothèque de renom, a exprimé cette idée de manière très éloquente : les bibliothèques sont des épiceries qui doivent se transformer en cuisines. L’épicerie est un lieu de consommation, où vous vous rendez pour vous procurer les ingrédients nécessaires à la préparation de vos repas. La cuisine, en revanche, est l’endroit où vous combinez ces ingrédients en utilisant vos compétences et vos talents pour préparer un repas. Les cuisines sont souvent des espaces sociaux : lors de fêtes, les gens finissent par s’y rassembler parce que c’est l’endroit où l’action prend place. Les bibliothèques doivent se transformer en cuisines, c’est-à-dire qu’elles doivent devenir des lieux de socialisation active où l’on mélange un assemblage hétéroclite d’ingrédients (informations, ressources, talents) pour réaliser une nouvelle recette délicieuse qui pourra ensuite être partagée.
C’est ce sentiment que décrivait Joyce Valenza dans son manifeste quand elle parlait des élèves qui publient leurs histoires et qui collaborent avec leurs enseignant·e·s et leurs pair·e·s. Sa bibliothèque donne accès non seulement à du matériel, mais aussi à des collègues, des enseignant·e·s, des idées et des outils (caméras vidéo, ordinateurs portables, médias sociaux, des livres, etc.). Ce qui fait de la bibliothèque de Joyce une bibliothèque, ce n’est pas l’accès à toute cette quincaillerie, mais plutôt l’accès au savoir et à la communauté elle-même. Les outils qui permettent l’accès sont éphémères (les livres deviennent numériques, le téléphone est supplanté par des applications comme Skype), mais l’intention de permettre l’accès, elle, ne changera pas.
Si votre bibliothèque est uniquement un lieu de consommation, où l’on se procure des documents, et non un endroit où l’on se rend pour créer et avoir accès à la communauté, vous devez hausser vos attentes.
Comment une bibliothèque peut-elle faciliter la création de connaissances en fournissant un accès ? À Fayetteville, par exemple, on donnait accès à des imprimantes 3D, entre autres. Dans les bibliothèques universitaires, cela pourrait consister à faciliter l’organisation de groupes d’étude ou à créer des communautés en ligne. De nos jours, le travail en équipe est une composante de plus en plus importante de l’enseignement universitaire. Les étudiant·e·s sont regroupé·e·s parce qu’une fois rendu·e·s sur le marché du travail, ils et elles travailleront de façon collaborative au sein d’équipes multidisciplinaires. Ces équipes sont toutefois trop souvent laissées à elles-mêmes, sans savoir comment tirer profit des outils qui sont à leur disposition pour favoriser la collaboration. On réfléchit assez peu sur le sujet. Est-ce que les professeur·e·s donnent accès à des outils en ligne comme des forums de discussion, des plates-formes collaboratives d’édition de documents ou des espaces pour archiver en ligne des références bibliographiques ? La bibliothèque peut et doit activement fournir ce type d’accès. La bibliothèque devrait être un endroit où vous vous rendez, physiquement ou virtuellement, pour dénicher des idées et ensuite les partager avec d’autres. C’est ainsi que les communautés apprennent, grâce à la collaboration et à la conversation.
Jean-Michel Lapointe revient sur le concept de conversation.
Crédits : Jean-Michel Lapointe
Proposé par comite le 2019-10-28
Évidemment, cela suppose que les gens savent comment se brancher aux réseaux ou publier leurs idées…
Offrir de la formation
Il existe une capsule vidéo géniale sur YouTube intitulée Helpdesk MedievalExtrait provenant de la série télévisée norvégienne Øystein og jeg (NRK, 2007, 2min45s) :
. On y voit un technicien expliquant à un moine médiéval comment utiliser un livre :
comment ouvrir le livre, comment tourner les pages, etc. On y apprend que, non, le
texte ne disparaît pas lorsque l’on tourne une page, car l’information est enregistrée
sur le papier. Pour éteindre le livre, il suffit de rabattre la couverture. Comme
toute bonne blague, elle n’est plus drôle une fois expliquée (regardez donc cette
capsule), mais elle remet en question l’idée suivant laquelle nous serions capables
de manipuler un livre dès notre naissance. En fait, la société dépense énormément
d’argent pour apprendre aux gens à utiliser une technologie de base comme le livre.
C’est ce que nous appelons la lecture.
Toute technologie nécessite une formation de base pour être utilisée. Ce n’est pas en dormant sur une pile de livres que l’on apprend à lire. Permettre l’accès ne suffit pas ; les bibliothèques doivent contribuer à former la communauté à l’apprentissage actif.
Nous voici arrivés au deuxième moyen de facilitation : offrir de la formation. Les bibliothèques doivent prendre part aux activités d’apprentissages des membres de leur communauté pour leur permettre d’accéder à des conversations et à des activités d’apprentissage plus poussées. De nombreuses bibliothèques font déjà ce travail. Dans les bibliothèques publiques, les bibliothécaires offrent des cours de base en informatique et en rédaction de curriculum vitae. Depuis des décennies, les bibliothèques universitaires offrent des formations à la recherche et à l’utilisation de l’information (autrefois appelées « formations bibliographiques », on les nomme désormais simplement des formations). Mon histoire préférée au sujet de la formation vient d’une bibliothèque de droit.
Un avocat surgit dans le bureau de la bibliothécaire, lui disant qu’il a cherché toute la nuit une information sur un témoin expert de la partie adverse. Il est attendu au tribunal une heure après. Est-ce que la bibliothécaire est en mesure de lui donner un coup de main ? Cinq minutes plus tard, elle lui imprime les informations nécessaires tirées de la base de données LexisNexis. Je pourrais m’arrêter ici et me satisfaire de cette histoire réconfortante de « bibliothécaire à la rescousse ». Or cela n’a rien de nouveau. Les bibliothécaires fournissent des services de référence comme celui-ci depuis le début des années 1900. Ce qui rend cette histoire formidable, c’est la façon dont la bibliothécaire a traité cette question de référence.
L’avocat cherchait des informations sur un témoin expert. Les avocat·e·s appellent des scientifiques, des ingénieur·e·s, des médecins et une foule d’expert·e·s pour les aider à plaider leur cause. Si un avocat essaie de prouver que son client n’est pas sain d’esprit, il appelle un·e psychiatre. Les avocat·e·s qui cherchent à prouver qu’un produit chimique est dangereux appellent un·e chimiste, et ainsi de suite. Cela signifie que la réputation et l’expertise des témoins sont très importantes. Les avocat·e·s qui font appel à un·e expert·e veulent s’assurer de ses titres de compétence, et l’avocat·e de la partie, de son côté, cherche à trouver une faille qui puisse mettre en doute cette expertise. Dans bien des cas, il s’agit de prouver que la personne appelée à témoigner en raison de son expertise contredit une position qu’elle a déjà soutenue dans le passé.
La bibliothécaire juridique a constaté que, bien que les avocat·e·s soient expert·e·s en droit, ils et elles ne possèdent pas les compétences informationnelles nécessaires pour effectuer les recherches permettant de trouver des témoins expert·e·s dans la littérature afin de les discréditer. Les avocat·e·s ne sont pas des expert·e·s en chimie ou en psychologie, ils et elles ne savaient donc ni comment trouver des gens pouvant réfuter ces informations ni où repérer ces informations. Les bibliothécaires, de leur côté, savent tout cela. Et maintenant, voici la partie la plus formidable de cette histoire : la bibliothécaire ne s’est pas contentée de passer d’un avocat à l’autre pour leur faire savoir qu’elle pouvait les aider ou qu’elle était mieux qualifiée qu’eux pour trouver ces informations. Elle a compris que personne n’aime se faire dire qu’il ou elle n’est pas doué·e pour répondre à des besoins d’informations complexes, ou que Google ne peut pas répondre à toutes leurs questions. Alors, elle a mis sur pied une formation dont le titre (que j’adore) est le suivant : « Assassinat de témoins experts 101 ».
Dans cette formation, elle parle des ressources pour trouver des articles savants, comment trouver des scientifiques dans un domaine précis, et ainsi de suite. Après chaque exemple, elle ajoute « ou, alors, si vous êtes trop occupés, je pourrais le faire pour vous ». Le recours à son expertise a explosé. Les avocat·e·s avaient fait connaissance avec quelqu’un qui comprenait leurs problèmes d’information et pouvait les aider ; ils et elles pouvaient ainsi améliorer leurs recherches. Si vos bibliothécaires n’ont aucune idée de ce que vous faites dans votre organisation, vous n’êtes pas assez exigeant.
Il existe de nombreux exemples d’excellents services liés à la formation en bibliothèque, et ceux-ci n’ont pas toujours lieu dans des salles de classe. Dans l’État du Delaware, par exemple, les bibliothèques de l’État se sont associées aux agences gouvernementales en matière de développement économique et d’éducation des adultes pour créer des centres de formation axés sur la création d’emplois et le développement des compétences :
« Cette subvention fera une énorme différence en permettant à la technologie mobile de pénétrer nos bibliothèques, tout en offrant à nos concitoyens de nouveaux services qui les aideront à se préparer à intégrer le marché du travail et à bonifier leur scolarité », a déclaré le gouverneur Jack Markell. « Les bibliothèques font déjà un excellent usage de l’information qu’elles détiennent ; cependant, ces nouveaux services rendront nos bibliothèques encore plus précieuses pour les personnes en processus d’intégration d’un marché du travail qui est en constante évolution (« Delaware libraries receive funding to expand internet access, job training » 2010) ».
Presque toutes les bibliothèques publiques des États-Unis offrent un soutien aux personnes en recherche d’emploi. Cela se limite souvent à fournir un accès aux sites Web d’emploi et aux ordinateurs sur lesquels rédiger et envoyer son curriculum vitae électroniquement à des employeurs. Dans l’État du Delaware, la barre est plus haute. Il ne suffit pas de fournir un accès aux équipements, il faut développer des compétences et l’apprentissage.
Vous vous souvenez des bibliothèques du nord de l’Illinois qui se sont regroupées pour créer l’initiative Transform U (j’ai abordé cela au Chapitre 2) ? Ces bibliothécaires ont établi des partenariats avec les collèges locaux, les bureaux de l’État et les entreprises locales afin d’offrir des formations sur la préparation à une entrevue d’embauche. Au besoin, un·e bibliothécaire peut également s’asseoir avec une personne pour l’aider à remplir un formulaire d’admission à un établissement d’enseignement. Grâce à Transform U, il est désormais facile de contourner les lourdeurs administratives et entrer directement en contact avec un travailleur social ou un recruteur pour un stage.
Ces idées font leur chemin jusque dans les bibliothèques universitaires. En plus des formations bibliographiques, les meilleures bibliothèques introduisent maintenant une série de services personnalisés. Dans plusieurs universités, les étudiant·e·s de première année sont jumelé·e·s à un·e bibliothécaire lors de l’admission. Alors que les collèges ont toujours fourni du soutien pour aider les étudiant·e·s à faire leur choix de cours, les bibliothécaires, pour leur part, se spécialisent dans les conseils touchant l’ensemble de l’environnement informationnel de l’institution. Les bibliothécaires interviennent en cours pour expliquer aux étudiant·e·s de première année le fonctionnement de ressources spécifiques qui leur seront utiles pour faire leurs travaux. Ils et elles abordent également les différentes plates-formes d’information que les étudiant·e·s devront utiliser, que ce soit pour s’inscrire à leurs cours, pour planifier leurs repas ou gérer leur messagerie institutionnelle. Les bibliothécaires, qui sont affecté·e·s à des disciplines précises en fonction de l’enseignement dispensé sur le campus, peuvent aider les étudiant·e·s à développer une vue d’ensemble sur la vie universitaire.
Les bibliothécaires universitaires ne devraient pas s’arrêter là. De plus en plus de bibliothécaires universitaires s’intègrent aux cours et travaillent étroitement avec leurs départements. Les bibliothécaires disciplinaires surveillent les fils Twitter qui sont utilisés dans le cadre des cours et peuvent fournir de l’aide lorsqu’une interrogation survient. Si un·e professeur·e oublie une référence ou une date, il ou elle peut simplement tweeter une question sur-le-champ et, en retour, le ou la bibliothécaire lui répondra. Les bibliothécaires ont parfois des heures de bureau dans les départements, ils ou elles s’y rendent pour s’intégrer aux équipes de recherche ou pour préparer des cours. Ils offrent des formations aux étudiant·e·s ou aux membres du corps professoral qui en ont besoin et, surtout, au moment où leur aide est requise.
Certaines bibliothèques universitaires font plus qu’offrir des formations ou d’initier les étudiant·e·s au travail scientifique dans leurs départements. L’Université Carnegie Mellon, par exemple, héberge aujourd’hui le programme IDeATe (pour Integrative design, arts, and technology) sur les médias émergents, qui permet d’obtenir un diplôme de maîtrise :
En une seule année, IDeATe est déjà reconnu comme un modèle national. Ce programme fusionne la technologie, les arts, la pédagogie, la recherche et la création. Plus de 300 étudiant·e·s et 70 professeur·e·s de 15 départements et écoles différents participent au projet IDeATe (« Keith Webster Named Director of Emerging and Integrative Media » 2015).
En Nouvelle-Zélande, les bibliothécaires de l’Université d’Auckland ont lancé un MOOC (une formation en ligne ouverte à tous) portant sur l’intégrité académique (Stephens et Auckland s. d.). Ce cours qui porte sur le plagiat et l’éthique dans la recherche a été utilisé par des dizaines de milliers d’étudiant·e·s dans le monde entier.
Si votre bibliothèque (qu’elle soit publique, universitaire, scolaire, gouvernementale, corporative, etc.) n’offre pas de formations, ou si ces formations ne correspondent pas à ce qui vous occupe au moment où vous en avez besoin, n’hésitez pas à hausser vos attentes.
Assurer un environnement sécuritaire
Le professeur de psychologie Abraham Maslow en savait quelque chose en matière de formation et d’apprentissage. Il savait, par exemple, que l’environnement dans lequel les gens apprennent est important. Il a créé ce que nous appelons aujourd’hui la pyramide de Maslow (« Pyramide des besoins » 2019). Selon cette pyramide, pour apprendre il faut d’abord satisfaire les besoins fondamentaux. Ainsi, vous aurez du mal à apprendre la physique si vous n’avez ni nourriture ni abri pour vous protéger des intempéries. Maslow a appelé ces besoins les besoins physiologiques. Dans le même ordre d’idée, si vous disposez de nourriture et d’un abri, mais que cet endroit n’est pas sécuritaire, vous ne pourrez pas apprendre. Maslow a appelé cela des besoins de sécurité. Sa hiérarchie comporte également d’autres besoins fondamentaux : les besoins d’appartenance, d’amour et, finalement, d’accomplissement de soi. Pour ma part, je m’en tiendrai ici aux besoins de sécurité.
Pyramide des besoins selon Abraham Maslow
Proposé par editeur le 2019-10-28
J’ai commencé ce livre en parlant du printemps arabe. De nombreuses personnes pensent que des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook ont contribué à provoquer les manifestations de masse et les changements qui ont eu cours en Égypte. Ce dont on parle moins souvent, c’est que ces mêmes outils peuvent être utilisés pour surveiller et supprimer de telles manifestations. Le service gouvernemental de radiodiffusion Voice of America, par exemple, rapporte comment le gouvernement de Bahreïn utilise Facebook pour trouver et arrêter des manifestant·e·s :
Contrairement à ce qui s’est passé en Égypte, les demandes de la population de Bahreïn n’ont jamais été satisfaites. Le gouvernement sunnite, avec l’aide militaire des pays voisins du golfe Persique, a réprimé le soulèvement et, par la suite, aurait utilisé les médias sociaux pour identifier et punir les personnes qui se sont exprimées en ligne (« Facebook Becomes Divisive in Bahrain » 2011).
Des autorités aussi diverses que le gouvernement iranien, la CIA et le service de police de la ville de San Francisco utilisent les réseaux sociaux pour identifier d’éventuelles perturbations sociales afin de les empêcher de voir le jour. Des géants du Web comme Google et Twitter ajustent leurs politiques pour permettre à ces autorités d’exercer un plus grand contrôle sur leur population. Il est possible que cette révolution menée via Facebook soit la dernière du genre, car les manifestant·e·s cherchent déjà un autre outil pour coordonner leurs actions. Pour toutes ces raisons, la bibliothèque dont nous avons besoin, celle à laquelle vous êtes en droit de vous attendre, est un lieu sécuritaire pour explorer des idées périlleuses.
La sécurité physique
La sécurité est un enjeu multiforme. En bibliothèque, ses deux principales composantes
sont la sécurité physique et la sécurité intellectuelle. Les bibliothèques publiques
sont souvent mentionnées comme des refuges. Les enfants dont les parents sont absents
de la maison au retour de l’école, par exemple, peuvent aller à la bibliothèque et
ainsi bénéficier d’un environnement sécuritaire. Avoir accès à ces espaces était à
ce point important pour les citoyen·ne·s de Philadelphie que lorsque le maire a tenté de fermer 11 succursales de bibliothèque, les citoyen·ne·s
et le conseil municipal l’ont poursuivi en justice pour qu’elles demeurent ouvertesEn 2008, le maire de Philadelphie, Michael Nutter, annonçait vouloir fermer 11 bibliothèques du réseau de bibliothèques publiques.
Cette décision faisait partie d’un ensemble de mesures ayant pour objectif de diminuer
le déficit de la ville. Attaqué en justice par des membres du conseil municipal et
des citoyens, il fut stoppé dans sa démarche par ordonnance du juge. En savoir plus.
. Certain·e·s ont fait valoir l’importance de l’accès à Internet, d’autres ont plaidé
pour le maintien de ces lieux de savoir, mais la principale raison invoquée par tout
un chacun était que la communauté devait fournir des espaces communautaires sécuritaires
pour leurs enfants.
L’importance de la sécurité physique ne concerne pas seulement les bibliothèques publiques. Les bibliothèques scolaires deviennent souvent des refuges pour les élèves qui peinent à s’intégrer socialement. Les bibliothèques universitaires sont des endroits sûrs pour les étudiant·e·s de premier cycle qui souhaitent étudier tard le soir, ou encore pour se soustraire au harcèlement des camarades qui sévissent dans leur dortoir. Comme l’a souligné Maslow, l’environnement physique est important. Dans ces conditions, pouvons-nous attendre davantage de nos bibliothèques qu’une agente de sécurité qui surveille les allées et venues à l’entrée ? Cette question a été soulevée par la bibliothèque centrale de Philadelphie.
La Free Library de la bibliothèque centrale de Philadelphie avait un problème avec les personnes sans-abri. Chaque matin avant l’ouverture de la bibliothèque, les sans-abri du centre-ville se rassemblaient dans un parc devant le bâtiment central. Dès l’ouverture des portes de la bibliothèque, ces dernier·e·s se pressaient pour utiliser les toilettes et trouver un endroit pour se reposer. Les choses se sont envenimées quand un membre du conseil d’administration de la bibliothèque s’est plaint de l’état des toilettes après avoir assisté à une série de conférences de haut niveau à la bibliothèque.
Les bibliothécaires avaient un choix à faire. Comment s’occuper des sans-abri ? Ils ont contacté la ville et d’autres bibliothèques urbaines pour obtenir des conseils et de l’aide. La plupart des conseils reçus favorisaient l’exclusion des sans-abri : les changements de politique qu’ils pouvaient apporter, les lois qu’ils pouvaient utiliser, etc., pour « minimiser » le problème. Les bibliothécaires de la bibliothèque centrale de Philadelphie ont choisi une autre option.
Leur première action a consisté à embaucher des sans-abri comme préposé·e·s dans les toilettes pour en assurer la propreté. Puis la bibliothèque a démarré un café. Le café était un projet communautaire. Le financement principal provenait de la Bank of America. L’équipement a été fourni par Starbucks. La nourriture venait d’une boulangerie du quartier. Le café a été doté et géré par des hommes et des femmes auparavant sans domicile qui participaient à un programme de réinsertion sur le marché du travail et qui ont été formé·e·s dans le cadre de ce projet.
C’est ce qui arrive quand le public, ou dans ce cas-ci, les bibliothécaires, ont une plus haute idée de leur travail et de leur communauté. Ils considèrent les gens non pas comme des problèmes, mais comme des membres de la communauté qui ont besoin de services, de soutien et d’alphabétisation. Ultimement, ces membres de la communauté avaient besoin de reprendre leur partie du pouvoir : pouvoir se prendre en main et mener une vie digne d’être vécue. Survivre n’est pas suffisant ; il faut avoir la possibilité de créer et d’apprendre. La bibliothèque centrale de Philadelphie a-t-elle résolu le problème de l’itinérance qui sévit au centre-ville de Philly ? Non. Mais il a été décidé de ne pas ignorer cette réalité en détournant le regard. Au lieu de « minimiser le problème », les bibliothécaires ont fait confiance au pouvoir des sans-abri pour se prendre en main, ce qu’ils et elles avaient auparavant été incapables de faire.
Nous aborderons la sécurité du bâtiment au Chapitre 6, lorsque nous parlerons des communautés. Mon idée est que la bibliothèque doit non seulement être sécuritaire, elle doit aussi être inspirante. Pour l’instant, permettez-moi de traiter le versant intellectuel de la sécurité en bibliothèque.
La sécurité intellectuelle
Pendant des siècles, les bibliothèques ont été les championnes de la sécurité intellectuelle. Il y a longtemps, les bibliothécaires ont réalisé que, tout comme vous devez vous sentir physiquement en sécurité pour explorer et apprendre, vous devez aussi pouvoir donner libre cours à vos pensées. Si vous sentez que quelqu’un pratique une forme ou une autre de censure des idées, ou juge défavorablement le type d’informations que vous recherchez, vous délaisserez les sujets controversés. Cet « effet paralysant » est à peu près équivalent au sentiment que vous avez ressenti en visionnant avec vos parents un film classé « 16 ans et plus » alors que vous n’aviez pas l’âge requis.
Bien avant les révélations d’Edward Snowden au sujet de la surveillance globale (« Edward Snowden: Leaks that exposed US spy programme » 2014), les bibliothécaires cherchaient à protéger leurs communautés contre les intrusions de l’État. Le meilleur exemple des bibliothèques en tant que gardiennes de la sécurité intellectuelle est lié à l’affaire Library Connection contre Gonzales. En vertu du Patriot Act, adoptée après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le FBI pouvait obtenir les dossiers des bibliothèques ou d’autres informations détenues par les entreprises au sujet de leur clientèle pour servir lors d’enquêtes judiciaires. En soi, ce n’était pas nouveau : le FBI a toujours été en droit d’exiger par voie de justice de consulter certains documents. La nouveauté résidait dans le fait que le FBI n’avait plus besoin d’aller en cour pour les obtenir et pouvait simplement invoquer la question de la sécurité nationale. Qui plus est, contrairement à l’injonction à produire un document qui peut être légalement exigé à une bibliothèque (tout comme à un club vidéo, ou à une école), qui a la possibilité de contester cette requête, les demandes du FBI venaient avec un ordre de bâillon, ce qui signifie que vous ne pouviez dire à personne que vous receviez cette lettre, et vous ne pouviez encore moins la remettre en question. La logique derrière ce changement était d’accélérer les enquêtes et d’éviter de faire taire les forces de l’ordre.
La majorité des bibliothécaires n’ont pas apprécié les dispositions du Patriot Act. Pendant des décennies, les bibliothécaires ont fait de la confidentialité des informations de leurs membres une priorité, et cela justement pour éviter cet « effet paralysant ». En effet, si les membres de la bibliothèque se sentent surveillé·e·s dans leurs habitudes de lecture et de navigation, ils et elles risquent de s’autocensurer. Les bibliothécaires sont d’avis que le contexte le plus favorable à la création de connaissances suppose une grande diversité de sources d’information, et pour cette raison, les membres de la bibliothèque doivent être assuré·e·s de ne pas être surveillé·e·s ou jugé·e·s. En somme, la sécurité intellectuelle ne consiste pas à faire en sorte que les membres de la bibliothèque ne lisent que des informations aseptisées. La bibliothèque doit permettre à ceux et celles qui le désirent de fréquenter en toute sécurité des idées controversées.
Avec l’adoption du Patriot Act, les bibliothécaires n’étaient plus en mesure d’assurer
la sécurité intellectuelle de la communauté. En 2004, un groupe de bibliothécaires
du Connecticut a estimé que les choses allaient trop loin, compromettant l’équilibre entre les libertés
civiles et l’application de la loi. Lorsque leur bibliothèque a reçu une lettre du
FBI leur demandant de fournir des informations à propos d’un membre de leur communauté,
ce groupe a décidé d’intenter une action en justice, s’exposant ainsi à des accusations
pouvant les conduire en prison. Apparemment, les tribunaux, y compris la Cour suprême,
ont convenu que l’équilibre était rompu. L’ordre de bâillon a été invalidéPour en savoir plus sur l’affaire Library Connection contre Gonzales, lire l’article « Four Librarians Finally Break Silence in Records Case » (Cowan 2006).
.
Je ne raconte pas cette histoire en guise de conte moral contre le Patriot Act. Au contraire, je cherche à montrer que les bibliothèques : 1) se préoccupent (ou du moins devraient se préoccuper) de votre sécurité intellectuelle et 2) peuvent le faire dans les paramètres mis en place par leur communauté. Les bibliothécaires du Connecticut n’ont pas informé la personne visée par l’enquête du FBI en lui donnant rendez-vous dans un obscur stationnement souterrain de banlieue. Les bibliothécaires n’ont pas ignoré la loi. Non, ils et elles ont comparu devant les tribunaux en ne cherchant pas à obtenir un privilège unique pour eux et elles seul·e·s, mais plutôt à plaider pour le rétablissement d’un équilibre de longue date entre la divulgation, la vie privée, les libertés civiles et la liberté d’expression. Les bibliothèques doivent encore fournir aux forces de l’ordre des informations sur les membres de la bibliothèque, mais seulement lorsque ces demandes ont été approuvées par le pouvoir judiciaire.
Je ne pense pas que nous puissions attendre beaucoup plus de ces bibliothécaires, qui ont risqué la prison pour faire respecter la loi et garantir le droit des membres de leur communauté à aller au bout de leur curiosité sans avoir à s’inquiéter. Nous pouvons toutefois nous attendre à ce que les bibliothèques défendent leurs idéaux au-delà de leurs murs. À titre d’exemple, la plupart des bibliothèques font de grands efforts pour garder privé ce que vous faites à la bibliothèque. Les bibliothèques travaillent dur pour éliminer l’historique de navigation des ordinateurs après chaque utilisation du Web. Les bibliothèques purgent les registres d’emprunt et ne pistent pas vos recherches d’ouvrages. Ils et elles font du bon travail (je dirais même qu’il est peut-être trop bon) pour se débarrasser de votre historique au sein des bibliothèques où vous avez vos habitudes. Cela dit, à quand remonte la dernière fois que votre bibliothèque vous a informé que chaque clic de souris et chaque frappe de clavier que vous faites pour trouver des livres de bibliothèque à partir de votre domicile peuvent être enregistrés par votre fournisseur d’accès Internet ? Vous fait-on savoir que vous utilisez peut-être un ordinateur « anonymisé » dans la bibliothèque, mais qu’en vous connectant à Facebook, votre navigation sur le Web peut être suivie à la trace par ce réseau social… même lorsque vous n’êtes plus sur le site de Facebook ?
Aujourd’hui, les menaces à votre vie privée ne viennent pas de Big Brother (le gouvernement), mais de milliers de « petits » big brothers. Facebook, Google, Twitter, les banques et les compagnies d’assurance dépensent des millions de dollars pour savoir ce que vous regardez, où vous êtes et quels risques vous représentez.
À ce sujet, Alexis Madrigal a écrit ce qui suit dans le National Journal :
Il n’y a rien de forcément sinistre dans cet échange souterrain de données : après tout, c’est l’écosystème publicitaire qui rend possible la gratuité du contenu en ligne. Toutes ces données permettent la gestion des publicités, et le reste des informations liées aux traces de navigation permet aux annonceurs de mesurer l’atteinte des objectifs fixés. Je ne veux pas m’en prendre aux pratiques du New York Times. En consultant le site du Huffington Post ou The Atlantic ou du Business Insider, le même processus est à l’œuvre à un degré plus ou moins similaire. Chaque mouvement que vous effectuez sur Internet a une certaine valeur pour quelqu’un, et une panoplie d’entreprises veillent à s’assurer que chacune des étapes de votre parcours sur Internet soit monétisée (Madrigal 2012).
Si les bibliothèques doivent nous donner accès à ces services et nous former à leur sujet, n’ont-elles pas aussi l’obligation de nous informer des menaces qui pèsent sur notre vie privée ? Ne peuvent-elles représenter la voix de la communauté dans le discours public au sujet de ces questions ? Vouloir que nos bibliothèques se dépassent, c’est s’attendre à ce qu’elles soient informées des menaces à la vie privée entraînées par la surveillance globale et qu’elles travaillent activement avec la communauté pour mettre en place les conditions pour un consentement éclairé des citoyen·ne·s en matière de divulgation de leur information.
C’est précisément ce qui s’est passé dans la petite ville de Lebanon, au New Hampshire. La bibliothèque publique, avec l’approbation de son conseil d’administration, a mis en place un serveur Tor (Farivar 2015). Le réseau Tor permet à ceux et celles qui utilisent Internet de le faire de manière anonyme en redirigeant les flux de navigation à travers un ensemble complexe de nœuds du réseau, ce qui rend presque impossible l’identification de l’origine de la connexion à Internet. Tor a été initialement développé par l’armée américaine pour protéger les communications liées au renseignement (« Tor (réseau) » 2019). Il a depuis été utilisé par des dissident·e·s vivants sous des régimes répressifs, mais aussi par des gens qui piratent des films. La bibliothèque a décidé de faire partie du réseau pour préserver la vie privée de ses membres.
Le lendemain de l’installation du serveur Tor, le département américain de la Sécurité intérieure et les forces de l’ordre locales ont demandé à la bibliothèque de cesser cette activité. Les autorités ont fait remarquer que Tor peut être utilisé pour dissimuler des activités illégales et illicites. Bien évidemment, Internet en général, le système téléphonique et le courrier postal peuvent aussi dissimuler de telles activités. Un mois après son retrait, le Conseil de la Lebanon Public Library, après une assemblée publique sans voix dissidente, a décidé de redémarrer le serveur Tor.
Que vous connaissiez Tor ou pas, que vous appuyiez ou non l’action du Conseil, l’idée importante à retenir ici est que la bibliothèque a non seulement cherché à protéger activement la vie privée de ses membres, mais elle l’a fait en instaurant un processus de discussion incluant toute la communauté. Vous devriez vous attendre à ce que votre bibliothèque ne se contente pas de croire que votre sécurité intellectuelle est importante. Vous devriez vous attendre à ce que votre bibliothèque travaille activement à vous éduquer sur les questions de sécurité intellectuelle, et ce, en démontrant explicitement les moyens qu’elle met en place pour vous aider.
Poussez plus loin votre désir d’apprendre
Pour parler de motivation, je dois retourner à la Free Library de Fayetteville. Vous voyez, pendant que nous étions occupés à imprimer le robot et l’anneau de mes fils sur l’imprimante 3D, la bibliothécaire, Lauren, a mentionné la tenue prochaine d’une journée portes ouvertes pour le fab lab. Durant cet événement, il serait possible d’utiliser l’imprimante 3D pour fabriquer des bijoux ou des objets faits de ruban adhésif de toile… si elle pouvait trouver quelqu’un qui savait s’y prendre avec ce matériau. Riley, mon fils de 11 ans, a dit « Je fais des trucs avec du duct tape », et avant que Lauren ne sache ce qui se passe, il était déjà en train de lui passer en revue des photos de ses créations sur son téléphone.
« Super ! », a déclaré Lauren du tac au tac. « Tu pourrais nous enseigner ce que tu fais ? » Et c’est précisément ce qu’il a fait.
Sans l’ombre d’un doute, l’expérience au fab lab de Fayetteville a également laissé son impression sur Andrew, le plus jeune. Une semaine plus tard, il a dit qu’il avait une bonne idée pour la foire scientifique de cette année. « Je vais concevoir la bibliothèque du futur ! » a-t-il déclaré. En moins de dix minutes, il l’avait esquissé sur papier.
Vingt minutes plus tard, son frère et lui construisaient la bibliothèque dans Minecraft,
un jeu vidéo populaire similaire à SimCityEn savoir plus sur Minecraft.
. Bien sûr, ils auraient pu le construire avec des blocs Lego (Andrew l’a fait plus
tard), mais Lego n’a pas créé de montagnes russes et vous ne pouvez pas inviter vos
ami·e·s du monde entier à déambuler dans une telle bibliothèque. (Au moment où j’écris
ces lignes, plus de 100 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices de Minecraft sont
enregistré·e·s (Makuch 2014).)
Le samedi suivant, nous avons apporté la « bibliothèque du futur » sur une clé USB à Fayetteville. Et nous l’avons imprimée.
À ce stade-ci, vous pourriez croire que le moment est venu de parler des milléniaux, ou de la puissance des fab labs, mais tel n’est pas mon but avec cette histoire. Ce qui me frappe, c’est la motivation de mes fils et comment elle a été nourrie par la bibliothécaire. Bien sûr, l’impression 3D était cool, mais ce n’est pas ce qui a interpellé Riley. C’est lorsque Lauren lui a demandé d’enseigner la classe sur le duct tape qu’il a été accroché. Ce qui l’a rendu vraiment accro, c’est quand il est entré dans le fab lab deux semaines plus tard et a vu que les bibliothécaires avaient suspendu l’enseigne qu’il a créée sur la porte : « le fab lab du duct tape». Ce qui a motivé Andrew à s’asseoir devant l’imprimante 3D pendant qu’elle imprimait lors de l’événement portes ouvertes, c’est qu’il lui revenait d’expliquer comment cela fonctionnait et ce qu’il imprimait.
Identifier ce qui motive et susciter le désir d’apprendre est la forme la plus importante de facilitation. En l’absence de cela, personne n’a le goût d’apprendre, et tous les programmes, tous les services et toutes les activités de la bibliothèque ne servent à rien.
Les bibliothèques peuvent inspirer leur communauté de nombreuses façons et transformer leur motivation à apprendre. De cet apprentissage naîtront des connaissances nouvelles qui, ultimement, contribueront à améliorer la société. Cependant, l’un des moyens les plus puissants consiste à céder à la communauté elle-même un certain contrôle et une certaine autorité sur la bibliothèque. Cela nécessite plus que de faire appel à un comité de supervision. Cela nécessite plus que de beaux discours sur la communauté en tant que propriétaire de la bibliothèque parce qu’elle finance ses activités via les impôts ou les frais de scolarité. Pour rendre le tout possible, il faut faire en sorte que la communauté soit copropriétaire des services offerts par la bibliothèque.
Le pouvoir de la copropriété n’est guère limité aux bibliothèques. Pendant que mes enfants travaillaient sur leurs projets, j’étais en réunion avec des professeur·e·s de l’université où je travaille. Nous discutions de nouvelles approches pédagogiques. Parmi ces approches, la « salle de classe inversée » est particulièrement en vogue : les élèves font leurs devoirs en classe et effectuent à la maison ce qu’ils auraient autrement fait en classe. Ils et elles travaillent sur des projets en classe et visionnent des conférences en ligne. Mais au milieu de cette discussion - au milieu du processus d’impression 3D - une idée m’a frappé. Je m’excuse auprès de ceux et celles qui trouveront cela évident, et j’aurai probablement dû le dire avant, mais cette idée m’a vraiment frappé :
Pendant que nous sommes assis à débattre du meilleur moment pour enseigner, de la durée optimale d’un cours, de la méthode pédagogique la plus appropriée, un véritable renversement est déjà en cours. Que penser du cours magistral ? L’exposé théorique doit-il être court ou long ? Au final, on s’en fout. Car ce véritable renversement, c’est que le corps professoral et les bibliothécaires sont en train de perdre le contrôle. Le véritable renversement c’est que les bibliothécaires et les professeur·e·s qui, pensant posséder leur contenu, ne s’interrogent que sur la manière de le transmettre doivent en réalité réapprendre leur contenu continuellement en compagnie de leurs étudiant·e·s et des membres de leur communauté.
Il faut constamment réapprendre, voilà une idée cruciale. Cela n’implique pas qu’il faille renoncer à tout contrôle, ou encore à transformer le système d’éducation en un long projet de bricolage piloté par les étudiant·e·s. Les bon·ne·s enseignant·e·s et les bon·ne·s chercheur·e·s importent. Ils et elles auront toujours une forte capacité à guider. Il s’agit plutôt de réaliser que la copropriété d’un programme d’étude ou d’un service de bibliothèque nécessite une capacité de réinvention constante, ne serait-ce que pour être déployé dans de nouveaux contextes. C’est la raison pour laquelle le modèle universitaire de l’enseignant·e/chercheur·e fonctionne bien depuis si longtemps. C’est lorsque ces deux réalités ne se rencontrent plus que nous tombons en panne.
Il en va de même avec nos bibliothèques. Le concept de makerspace que la bibliothèque de Fayetteville essaie d’incarner — un lieu pour étudier, mais aussi créer — ne fonctionne que si tout le monde s’implique — bibliothécaires, membres de la communauté, expert·e·s, enfants, parents – et admet que l’apprentissage a lieu en même pour toutes les personnes impliquées. Si un enfant se présente et qu’on le traite comme un consommateur, le makerspace échouera. Aucune imprimante 3D de 2000$ ne peut égaler la qualité des blocs Lego ou des jouets achetés en magasin. L’astuce consiste à montrer à l’enfant, au parent ou au membre qu’ils et elles font tous et toutes partie du processus d’apprentissage, qu’une découverte a lieu sous leurs yeux, et ce, même si ils et elles sont les seul·e·s à la percevoir comme une nouveauté. Nous apprenons ensemble au fur et à mesure. Et lorsque tout le monde a compris ? Eh bien, il est temps d’essayer quelque chose de nouveau.
Je sais qu’il y a de longues discussions à tenir sur le rôle des expert·e·s, la valeur de l’expérience et la pédagogie appropriée pour les domaines bien balisés et ceux qui émergent. Je comprends tout cela. Je sais que je simplifie trop ici, mais c’est un peu mon but. Ces discussions sur l’expertise et la pédagogie ne doivent être que cela, des discussions et des conversations. Tout cela est fort compliqué, et il est difficile d’éviter les guerres d’ego sur ces sujets. Pourtant, si nous ne tenons pas à élargir cette conversation par-delà le corps professoral, par-delà la communauté des bibliothécaires, alors nous manquons une occasion remarquable de motiver et d’impliquer les membres de nos communautés. Et si nous éteignons cette conversation, nous aurons failli à notre mission. Nous devons hausser nos attentes.
Professeure, bibliothécaire, bricoleur, espionne
Si vous ne devez retenir qu’une chose de ce chapitre, c’est ceci : vous devriez vous attendre à ce que votre bibliothèque soit, de façon proactive, une facilitatrice de connaissances. Il y a fort à parier que vous vous demandez pourquoi cela relève de la mission d’une bibliothèque plutôt que celle d’une école. En fait, si vous considérez les quatre moyens de facilitation de la connaissance, vous pourrez facilement les appliquer à des personnes qui font du journalisme, de l’édition ou qui enseignent. Améliorer la société en facilitant la création de connaissances est une mission qui, assurément, concerne toutes ces professions.
Les moyens de facilitation ne s’appliquent pas uniquement aux bibliothécaires et aux bibliothèques, car tout dépend de la manière dont on les met en œuvre. Les bibliothèques ne se définissent pas par leurs bâtiments, mais par la façon dont elles combinent une mission, des moyens de facilitation, un ensemble de compétences et, ultimement, une éthique. Je crois fermement qu’avec le temps, les professions qui relèvent de la facilitation des connaissances se rapprocheront de plus en plus. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons des « facilitateurs » et des « facilitatrices » au Chapitre 7. Pour l’instant, nous devons nous attarder aux questionnements éthiques et à ce que j’entends par le fait d’« améliorer la société ».
Contenus additionnels
Version originale en anglais du chapitre 4 : « Facilitating Knowledge Creation: Expect To Create »
Cet ouvrage a été écrit et publié en anglais par R. David Lankes (2012, Jamesville, NY: Riland Publishing) avant d’être traduit collectivement, sous la direction de Jean-Michel Lapointe, en français en 2018 (Les Ateliers de [sens public], Montréal).
Crédits : R. David Lankes
Proposé par editeur le 2019-10-28
Déconstruction du chapitre 4 : « Faciliter la création de connaissances » (2017, 15min59s)
Dans cette vidéo, R. David Lankes déconstruit le texte du chapitre 4 “Faciliter la création de connaissances” de l’ouvrage Exigeons de meilleures bibliothèques et traite de l’utilisation de ce texte au sein d’une conversation plus large sur les bibliothèques et leurs services.
Crédits : R. David Lankes
Proposé par editeur le 2019-10-28
Références
Cowan, Alison Leigh. 2006. « Four Librarians Finally Break Silence in Records Case ». The New York Times, mai. https://www.nytimes.com/2006/05/31/nyregion/31library.html.
Farivar, Cyrus. 2015. « Library’s Tor relay—which had been pulled after feds noticed—now restored ». Ars Technica, septembre. https://arstechnica.com/tech-policy/2015/09/small-town-library-restores-tor-relay-which-had-gone-dark-for-weeks/.
Hamilton, Buffy J. 2012. « Embedded Librarianship in a High School Library ». Library Technology Reports, 6. https://www.journals.ala.org/index.php/ltr/article/viewFile/4367/5048.
Hamilton, Buffy J. 2011. « ALA OITP Recognizes The Unquiet Library and Media 21 for Cutting Edge Technologies in Library Services – The Unquiet Librarian ». The unquiet librarian. https://theunquietlibrarian.wordpress.com/2011/01/05/ala-oitp-recognizes-the-unquiet-library-and-media-21-for-cutting-edge-technologies-in-library-services/.
Liszewski, Andrew. 2012. « The Smithsonian Turns To 3D Printing To Share Their Collection ». Gizmodo, février. https://gizmodo.com/5888230/the-smithsonian-turns-to-3d-printing-to-share-their-collection.
Madrigal, Alexis. 2012. « I’m Being Followed: How Google—and 104 Other Companies—Track Me on the Web ». National Jounal, mars. https://www.yahoo.com/news/im-being-followed-google-104-other-companies-track-130904200.html.
Makuch, Eddie. 2014. « Minecraft passes 100 million registered users, 14.3 million sales on PC ». Gamespot, février. https://www.gamespot.com/articles/minecraft-passes-100-million-registered-users-14-3-million-sales-on-pc/1100-6417972/.
Stephens, Jason, et The University of Auckland. s. d. « Academic Integrity: Values, Skills, Action ». FutureLearn. Consulté le 26 septembre 2018. https://www.futurelearn.com/courses/academic-integrity.
Valenza, Joyce Kasman. 2012. « Manifesto for 21st century teacher librarian ». Teacher Librarian. http://teacherlibrarian.com/2011/05/01/manifesto-for-21st-century-teacher-librarians/.