Exigeons de meilleures bibliothèques

Glossaire

Glossaire

Jean-Michel Lapointe

Marie D. Martel

Jean-Michel Lapointe, Marie D. Martel, « Glossaire », Exigeons de meilleures bibliothèques (édition augmentée), Les Ateliers de [sens public], Montréal, isbn:978-2-924925-09-6, http://ateliers.sens-public.org/exigeons-de-meilleures-bibliotheques/glossaire.html.
version 1, 28/10/2019
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)

La bibliothéconomie nouvelle proposée par R. David Lankes suppose de rénover le sens du vocabulaire que nous utilisons dans la vie de tous les jours afin qu’il puisse nous permettre de repenser notre pratique professionnelle. L’objectif de ce glossaire des concepts est de décoder et d’expliciter le lexique utilisé par Lankes afin d’en préciser la signification et, ce faisant, de faciliter la compréhension de la richesse de sa pensée.

Ce glossaire proposera, à terme, une dizaine d’entrée faisant la synthèse du sens des concepts utilisés par Lankes. Nous avons puisé dans ses ouvrages plus théoriques, au premier chef The Atlas of New Librarianship (Lankes 2011), mais également The New Librarianship Field Guide (Lankes 2016), afin d’en donner à lire des extraits inédits en français.

Bibliothèque troisième lieu

« Presque tous les types de bibliothèques servent de troisième lieu. Les bibliothèques publiques, en particulier, font partie des rares espaces communautaires encore accessibles pour tous et toutes. De leur côté, les bibliothèques universitaires ont fait de la place pour des cafés et autres lieux de rassemblement afin que les étudiant·e·s du premier cycle puissent se voir ailleurs que dans les résidences étudiantes et les salles de cours. Enfin, les bibliothèques scolaires sont souvent considérées comme des lieux sûrs pour les élèves qui ne s’intègrent pas aux différentes cliques de l’école. » (Lankes 2016, 110, 2018).

Abordé dans le chapitre « De meilleures bibliothèques pour plus d’impact social », le thème du troisième lieu est convoqué comme l’un des concepts qui fonde le plaidoyer de Lankes en faveur des bibliothèques. Lankes réfère explicitement aux thèses du sociologue Ray Oldenburg, selon lequel les troisièmes lieux sont essentiels pour la « vitalité communautaire et la démocratie locale », et dont il reprend la définition :

[des] lieux publics qui offrent un terrain neutre où les gens peuvent se rassembler et interagir. Contrairement au premier lieu (celui de la maison) et au second (celui du travail), le troisième lieu permet aux gens de mettre de côté leurs préoccupations et de simplement profiter de la compagnie et des conversations qui les entourent (Lankes 2011, 96).

Dans l’ouvrage The Great Good Place (Oldenburg 1999), Oldenburg développe le concept de troisième lieu en précisant huit attributs d’ordre socio-spatial qui le caractérise. Le troisième lieu est :

  1. un terrain neutre où personne n’a l’obligation d’être là, on y va et en repart à sa guise ;
  2. il nivelle les différences de statuts entre les gens, ce qui favorise l’inclusion ;
  3. la conversation est l’une des principales activités qui s’y pratiquent ;
  4. il est accessible et accommodant – les plages horaires sont étendues et la localisation est facile d’accès ;
  5. il est créateur de communauté puisqu’il stimule les habitudes d’association publique et attire une public régulier ;
  6. il est accueillant, convivial et peu intimidant (low-profile) ;
  7. il propose une qualité d’ambiance ludique (playful) et expérientielle ;
  8. il se présente à la manière d’un second chez-soi, d’une place sympathique qui procure un sentiment d’appartenance et encourage la re-génération sociale, le brassage d’idées.

Le rôle clé des pratiques conversationnelles au sein de ces configurations s’accorde avec la conception de Lankes selon laquelle la connaissance et l’apprentissage émergent par le biais de conversations. À cet égard, la bibliothèque troisième lieu se présente comme un dispositif privilégié qui contribue à la mission des bibliothèques en facilitant la conversation et la création de connaissances.

Dans The Atlas of New Librarianship, Lankes relève que ces institutions civiques qui portent les aspirations de leur communauté rejoignent des populations géographiquement dispersées et culturellement diversifiées en les réunissant :

La bibliothèque tisse des connexions entre jeunes et vieux, riches et pauvres. Les enfants des cols blancs sont assis avec les enfants des cols bleus pour écouter l’heure du conte. La bibliothèque est ouverte aux banquiers, aux banquières et aux itinérant·e·s. Cela donne du pouvoir aux bibliothécaires : le pouvoir de comprendre et d’aider à améliorer la communauté (Lankes 2011, 96).

Dans cette veine, et à la suite de Oldenburg, Robert Putnam a souligné l’apport des bibliothèques comme modèle de troisième lieu en mettant de l’avant leur capacité, non seulement à tisser des liens (bonding), mais aussi à créer des ponts (bridging) entre des communautés a priori peu enclines à se relier (Putnam et Feldstein 2004, 49). Ces observations de Putnam sur le capital social renforcent l’idée selon laquelle les bibliothécaires, dans le contexte des bibliothèques troisième lieu et en tant que « médiateurs et médiatrices », peuvent activement contribuer à élargir le cercle des personnes qui participent à la conversation au sein de communautés diversifiées.

Concepts liés

  • Accès (à venir)

  • Lieux de rencontre (à venir)

Littératie

Le concept de littératie est principalement discuté dans le chapitre « De meilleures bibliothèques pour plus d’impact social » alors qu’il est relié à plusieurs des arguments pour la défense des bibliothèques qui sont avancés par Lankes. « La littératie, la recherche et l’apprentissage ont toujours été associés aux bibliothèques » lesquelles assument la fonction de centre d’apprentissage peu importe le type d’institution : scolaire, publique, universitaire (Lankes 2018, 39‑40, 2016, 108). Dans le contexte de la transition numérique, elles assurent aussi un rôle de filet de protection sociale par l’entremise de programmes de littératie numérique et, « par extension », elles soutiennent la participation à la vie démocratique (Lankes 2018, 55). En parcourant les ouvrages The New Librarianship Field Guide (Lankes 2016) et The Atlas of New Librarianship (Lankes 2011), il est possible d’approfondir la signification du concept de littératie qui est central dans le projet de la bibliothéconomie nouvelle.

Depuis le rapport de l’OCDE sur la littératie à l’ère de l’information (OCDE et Statistique Canada 2000), la littératie est généralement entendue comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités. » Cette conception de la littératie est en phase avec l’approche de Lankes, qui n’est pas restreinte à la lecture, et qui s’applique à un large registre de domaines de connaissance introduisant autant de types de littératie : littératie financière, littératie des médias, littératie informatique, etc. Cette approche pluraliste de la littératie accorde une place prépondérante au jeu (gaming) et à la littératie du jeu au sein de ces différentes activités d’apprentissage (Lankes 2016, 47, 2011, pp.75-76).

Lankes reconnaît également l’importance cruciale de la littératie de l’information qui vise à soutenir l’acquisition d’un ensemble d’aptitudes permettant « d’identifier un besoin de connaissance, d’y accéder, d’évaluer les sources de ces connaissances, de synthétiser ces nouvelles connaissances à partir de compréhensions existantes, et enfin, d’évaluer ce processus » (Lankes 2016, 46). Sur cette question, il s’inspire des modèles de littératie de l’information de Eisenberg et Berkowitz (« the Big 6 ») et de Kulthau (Kuhlthau 2004).

Toutefois, dans la perspective de la bibliothéconomie nouvelle, cette littératie de l’information se veut aussi une littératie de la connaissance qui intègre la conception relationnelle de la connaissance défendue par Lankes. Selon cette approche, la littératie se définit comme la capacité d’identifier et d’utiliser des relations ou des réseaux de connaissances reflétant les accords entre les membres d’une communauté et qui forment des patrons de langage. Le travail des bibliothécaires, dans ce contexte, consistent à « aider [les membres] à identifier et à tirer profit de ces patrons de connaissance dans un domaine donné » (Lankes 2016, 47).

Par ailleurs, le domaine de la littératie de l’information doit aussi s’étendre afin d’inclure une dimension de littératie conversationnelle qui vise à faciliter la transformation des connaissances en données partagées et partageables, et partant, à faciliter la conversation au sein des communautés :

Les bibliothécaires peuvent donner toutes les instructions qu’ils ou elles souhaitent sur la recherche et l’évaluation des sources, mais si nous ne facilitons pas également la transformation de toutes ces nouvelles connaissances en une conversation efficace (en ligne, en personne ou autrement), nous avons créé une boucle fermée avec des avantages limités pour la communauté en général. La littératie de l’information doit donc inclure la notion de littératie conversationnelle. En effet, les concepts qui fondent la bibliothéconomie nouvelle requièrent diverses formes d’extensions touchant toutes sortes de littératies (Lankes 2011, 73).

Selon Lankes, cette définition étendue de la littératie doit encore intégrer de façon essentielle cette finalité qui est liée à l’encapacitation. De ce point de vue, la littératie, qui transcende les différents types de bibliothèques, consiste, au-delà de l’acquisition de compétences ou au travers elles, à acquérir du pouvoir. Les bibliothécaires ont alors pour rôle de contribuer à l’encapacitation de ceux et celles avec qui ils et elles sont en relation :

[C]’est au cœur de notre interprétation du rôle de la littératie en bibliothéconomie. Si nous considérons que le rôle des bibliothécaires est un complément aux autres processus éducatifs (enseigner la lecture dans les écoles ou les organisations d’alphabétisation ou soutenir les parents), la littératie est un concept quelque peu limité… Cependant, si nous considérons la littératie comme une forme d’encapacitation, visant littéralement à acquérir du pouvoir, nous obtenons une vision totalement différente de la littératie. Je soutiens que les bibliothécaires doivent considérer la littératie comme un moyen d’acquérir du pouvoir pour leurs membres, et le plus souvent du pouvoir pour ceux et celles qui en sont privé·e·s (Lankes 2011, pp.74-75).

Cette approche proactive de la littératie-en-tant-que-pouvoir est abordée par Lankes dans un cadre individualiste – c’est le pouvoir de l’individu – et non pas comme « une aptitude nécessaire au service d’idéaux sociaux plus larges » (Lankes 2011, 75). L’auteur précise aussi que cet engagement et ce pouvoir des bibliothécaires au service de l’encapacitation ne doit pas verser dans une forme ou une autre de paternalisme :

Ceci fait partie du pouvoir des bibliothécaires. Considérer les personnes non pas comme des problèmes, mais comme des membres dans le besoin – ayant besoin de services, de soutien et, effectivement, de littératie. Mais qui ont surtout, en définitive, besoin de pouvoir. Le pouvoir de subvenir à leurs propres besoins et de mener une vie digne (Lankes 2011, 80).

La réflexion de Lankes se prolonge enfin du côté de ce qu’il désigne comme la littératie sociale et qui est définie comme « (i) le pouvoir identitaire des groupes, et (ii) le processus de définition et de développement des regroupements sociaux pour l’atteinte de nos visées » (Lankes 2011, 93, p.386). Cette forme de littératie s’applique aux activités d’apprentissage concernant les médias sociaux et les défis communicationnels liés à leurs usages en termes de privacité, d’authenticité, de crédibilité, etc. Toutefois, ces questions, qui sont ultimement d’ordre identitaire, comportent des enjeux qui touchent les interactions humaines d’une façon plus générale et plus fondamentale. Ces processus, et les capacités qu’ils présupposent, qui visent à faciliter la définition et le développement de groupes sociaux en fonction des finalités propres aux communautés desservies par les bibliothèques, constituent le véritable sens de la littératie sociale. Cette littératie tend à faciliter l’action sociale, l’organisation collective, la formation de mouvements, le travail en collaboration avec les autres, la mise en commun du pouvoir pour mieux favoriser son partage (Lankes 2011, 77). L’auteur invite, en outre, les bibliothécaires à s’impliquer et à participer activement dans ces regroupements et ces initiatives collectives (Lankes 2011, 386). L’idée de littératie sociale, selon Lankes, nous amène à penser la littératie dans sa dimension radicale et à la bibliothéconomie comme une profession radicale :

L’Atlas soutient que la littératie est un sujet radical et que la bibliothéconomie est une profession radicale. La vérité de cette affirmation apparaît dans l’argument selon lequel les bibliothécaires doivent s’efforcer de faciliter la littératie sociale au sein de la profession de la même manière qu’ils ou elles facilitent la littératie sociale des membres (Lankes 2011, 386).

Concepts liés

  • Littératie sociale (à venir)

  • Jeu (à venir)

Conversation

Les adeptes de la bibliothéconomie nouvelle approchent leur travail en tant que facilitateurs et facilitatrices de conversations. Que ce soit par le biais des pratiques et des politiques, des programmes et des outils qu’ils et elles développent, ces bibliothécaires cherchent à enrichir, enregistrer, conserver et disséminer les conversations qui ont cours dans leurs communautés (Lankes 2011, 2).

Maître-concept du lexique de Lankes, la conversation occupe un rôle central au sein de la bibliothéconomie nouvelle. Dans son magnum opus, The Atlas of New Librarianship (Lankes 2011), il signale que sa pensée tout entière repose sur la théorie de la conversation développée par le cybernéticien britannique Gordon Pask (1928-1996). Dans l’ouvrage Conversation Theory (Pask 1976), Pask avance que tout apprentissage et toute connaissance sont générés lors d’une situation d’échange langagier visant à parvenir à une compréhension partagée entre ceux et celles qui y participent.

Le fruit de cette compréhension partagée, que Lankes désigne comme étant une « connaissance » (voir le concept de connaissance), peut être obtenu via un processus aussi bien individuel que collectif. Que ce soit une lectrice qui mène une conversation avec elle-même en s’interrogeant sur le sens d’un livre, ou encore, comme on l’a lu dans le chapitre « Faciliter la création de connaissances », une discussion entre les membres d’une bibliothèque publique qui s’interrogent sur l’intérêt de maintenir un serveur Tor permettant de naviguer anonymement sur la Toile, chaque conversation a ceci de déterminant qu’elle contribue à informer, voire à transformer, la réalité de ceux et celles qui y prennent part.

Mais encore faut-il créer les conditions d’une conversation fructueuse, c’est-à-dire une conversation qui permette d’apprendre ou de créer des connaissances. Afin d’y voir plus clair, Lankes distingue deux niveaux de langage.

D’une part, le langage de base (L 0) est une sorte de sens commun qui ne semble supposer aucun prérequis, bien qu’il demeure hautement contextuel et soit lié à un cadre de références partagées que les interlocuteurs et les interlocutrices prennent pour acquis. Lankes propose l’exemple suivant :

Comment dois-je m’y prendre pour aller à [la prestigieuse salle de concert new-yorkaise] Carnegie Hall ?” Si la personne qui pose cette question est une écolière du Wisconsin en visite à New York pour la première fois et la personne qui lui répond est préposé d’une station de métro, sa réponse pourrait se formuler ainsi : « Prends l’Express de l’Avenue Lexington et descends à l’arrêt de la 59e rue, puis etc. ». Ce faisant, ils utilisent le langage L 0. Mais si la personne qui pose la question est plutôt une étudiante des cycles supérieurs arborant un chandail de l’université NYU et qu’elle s’adresse au tenancier d’un kiosque de journaux qui veut jouer les rigolos, la réponse pourrait être : « Il faut pratiquer, pratiquer et pratiquer ». (…) Dans ce cas, ils recourent au langage L 1 (Lankes 2016, 35).

D’autre part, le langage L 1 est beaucoup plus sophistiqué en ce qu’il suppose d’emblée qu’une entente intersubjective a eu lieu dans le passé qui permet à ceux et celles qui le parlent de nommer certaines réalités du monde avec plus de précision, de profondeur et de rapidité. Ce langage d’expert ou d’initié a pour effet d’exclure de la conversation les personnes qui ne le maîtrisent pas.

Cette théorie de la conversation, ainsi ramenée à sa plus simple expression, a des conséquences multiples pour les bibliothécaires. En un trait, disons qu’ils et elles doivent favoriser la capacité de tous et toutes à pouvoir prendre part aux conversations spécialisées (L 1) qui ont cours au sein de leur communauté, mais également de faire en sorte que les conversations spécialisées qui ont lieu ailleurs dans le monde puissent leur être également accessibles.

Favoriser l’accès aux meilleures conversations se fait à double sens : de la communauté vers le monde extérieur via les technologies de la publication que sont l’édition et le Web, par exemple, et du monde extérieur vers la communauté via l’acquisition de documents et l’organisation d’activités ou la mise en place de politiques qui invitent à la rencontre, à l’échange, à l’exposition - à ce qui déborde le langage L0, élargissant ainsi l’univers de référence de leurs membres. La difficulté de cette entreprise conversationnelle peut se résumer à une question : comment parvenir à créer un langage commun parmi des personnes appartenant à des communautés différentes ?

Mais avant de chercher à abaisser les barrières ou à créer des ponts pour que tous et toutes puissent s’approprier les langages L 1 qui circulent dans leur communauté et dans le vaste monde, les bibliothécaires doivent d’abord savoir que ces conversations existent. D’où l’importance, nous dit Lankes à la fin du chapitre 8, de « cartographier les conversations » qui ont cours, à commencer par celles qui intéressent nos membres, mais aussi celles que nous souhaitons et dont nous avons la responsabilité professionnelle d’avoir avec eux. Finalement, il importe aux bibliothécaires de se former à la littératie conversationnelle (voir le concept de littératie).

Note sur la traduction

Ne se contentant pas de théoriser la conversation, Lankes maîtrise également l’art de la conversation écrite. Dans chacun de ses livres, il multiplie les niveaux de langage, passant dans un même paragraphe d’une blague facile à une considération savante parfois pointue, créant sans cesse des ruptures de ton qui contribuent à la vivacité de sa prose. Qui plus est, Lankes interpelle fréquemment son lectorat. Puisque cette pratique est moins commune en français qu’en anglais américain, nous avons à l’occasion atténué cet aspect de son style.

Concepts liés

Connaissance

Pour les bibliothécaires, ce que j’appelle « connaissance » signifie le réseau de croyances interreliées qui orientent notre comportement. Et ce réseau se construit via les conversations et les actions que nous menons de notre côté, mais également au sein de nos communautés (Lankes 2016, 26).

Cette définition pragmatique de la connaissance laisse intentionnellement de côté la question de la vérité pour se concentrer sur l’utilité du produit ponctuel d’un processus infini de transformation qui, à chaque fois, invite à l’action.

Selon Lankes, toute expérience individuelle qui suscite un apprentissage (le faisant passer d’un état de compréhension A à un état de compréhension B), mais aussi tout ce qui fait l’objet d’une entente à un moment donné au sein d’une communauté peut être considéré comme une connaissance, et ce, peu importe que celle-ci soit tronquée ou incomplète. Connaître, ce n’est pas détenir la vérité, c’est prendre part à une quête sans fin de transformation de notre compréhension du monde.

Voici donc une bien curieuse conception de la connaissances, qui est relative au contexte spécifique d’un individu ou d’une communauté, en plus d’être transitoire, liée à l’action et de n’avoir aucune permanence matérielle. En effet, contrairement à l’idée reçue suivant laquelle les connaissances sont des faits validés qui résident sous une forme stabilisée dans les documents, Lankes avance l’idée suivant laquelle les connaissances n’existent que de manière impalpable, ici et maintenant, lors d’une expérience individuelle ou collective:

La « connaissance enregistrée » n’existe pas parce que la connaissance réside dans l’être humain et non dans les objets inanimés. Elle est dynamique – elle ne peut pas être statique (enregistrer quelque chose signifie la rendre statique et inflexible). C’est pourquoi j’utilise le terme « artéfact ». Les artéfacts comme les livres, les CD, les pages Web, les DVD, etc. ne sont pas des connaissances, mais plutôt des objets qui résultent d’une activité de connaissance (Lankes 2011, 41).

Toute activité de création de connaissance suppose une conversation avec soi-même ou avec autrui. Et puisque la mission des bibliothécaires est de faciliter la création de connaissances, ils et elles doivent chercher par tous les moyens imaginables à stimuler les conversations qui ont lieu au sein de leur communauté (voir le concept de conversation).

Ainsi, la raison d’être de la profession de bibliothécaire n’est pas de gérer des ressources (une collection d’artéfacts), mais de rendre possibles les conversations qui suscitent l’apprentissage et la création de connaissances. Afin de parvenir à cet objectif, les bibliothécaires recourent à diverses stratégies, comme celle de faciliter l’appropriation des technologies intellectuelles disponibles à leur époque (rouleau de papyrus, livre imprimé, réseau social numérique, etc.). Dans cette perspective, les livres ne sont pas une finalité en soi, mais sont utiles dans la mesure où ils permettent d’enregistrer et de rendre disponible à tout moment le fruit des conversations qui ont eu lieu dans le passé afin qu’elles puissent nourrir les conversations d’aujourd’hui qui suscitent des connaissances nouvelles.

Note sur la traduction

Nous avons pris le parti de traduire knowledge par « connaissance », à l’exception de l’expression knowledge infrastructure, pour laquelle nous avons préféré l’expression « infrastructure du savoir ».

Concepts liés

Références

Kuhlthau, Carol Collier. 2004. Seeking meaning: a process approach to library and information services. Westport, Conn.: Libraries Unlimited. https://www.abc-clio.com/ABC-CLIOCorporate/product.aspx?pc=F1820C.

Lankes, R. David. 2011. The Atlas of New Librarianship. The MIT Press. https://mitpress.mit.edu/books/atlas-new-librarianship.

———. 2016. The New Librarianship Field Guide. The MIT Press. https://mitpress.mit.edu/books/new-librarianship-field-guide.

———. 2018. Exigeons de meilleures bibliothèques. Plaidoyer pour une bibliothéconomie nouvelle. Montréal: Les Ateliers de [sens public]. ​http://ateliers.sens-public.org/exigeons-de-meilleures-bibliotheques.

OCDE, et Statistique Canada. 2000. « La littératie à l’ère de l’information. Rapport final de l’Enquête internationale sur la littératie des adultes ». OCDE. http://www.oecd.org/fr/education/innovation-education/39438013.pdf.

Oldenburg, Ray. 1999. The Great Good Place Cafes, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons, and Other Hangouts at the Heart of a Community. Da Capo Press. https://www.dacapopress.com/titles/ray-oldenburg/the-great-good-place/9781569246818/.

Pask, Gordon. 1976. Conversation theory: applications in education and epistemology. Amsterdam; New York: Elsevier. https://www.worldcat.org/title/conversation-theory-applications-in-education-and-epistemology/oclc/2373054.

Putnam, Robert D., et Lewis Feldstein. 2004. Better Together. Restoring the American Community. New York: Simone; Schuster. https://www.simonandschuster.com/books/Better-Together/Robert-D-Putnam/9780743235471.