Nantes Patrimonia
Plateforme collaborative des patrimoines nantais
Pierre Fauvel,
Alizé Sibella,
« Nantes Patrimonia », dans
Marta Severo,
Roch Delannay (dir.),
Contribution numérique : cultures et
savoirs (édition augmentée), Les Ateliers de [sens
public], Montréal, 2024, isbn : 978-2-924925-29-4, http://ateliers.sens-public.org/contribution-numerique/chapitre11.html.
version 0, 15/06/2024
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA
4.0)
Introduction
À Nantes, le patrimoine imprègne le paysage urbain, témoignant du temps long et d’une grande diversité d’activités. Consciente de cette richesse, la Ville de Nantes, à travers la Direction du Patrimoine et de l’Archéologie (DPARC), mène depuis de nombreuses années une politique publique visant à préserver, connaître, faire connaître et valoriser les patrimoines nantais dans leur plus grande pluralité : végétal, paysager, archéologique, architectural, immatériel, mémoriel, archivistique, etc.
Par ailleurs, la prise en compte des droits culturels tient une place importante dans la politique patrimoniale nantaise. En effet, dans la lignée de la loi NOTRe (7 août 2015), de la loi Liberté Création Architecture Patrimoine (LCAP) (7 juillet 2016) et de la convention de Faro adoptée par le Conseil de l’Europe le 20 octobre 2005, la Ville de Nantes se donne pour objectif d’améliorer l’accès de chacun au patrimoine, à en favoriser la gestion durable et à promouvoir la gouvernance démocratique en replaçant le citoyen au cœur des préoccupations patrimoniales. En réaffirmant le droit pour chaque citoyen d’exprimer ce qui fait patrimoine, la Ville se donne pour ambition d’offrir des espaces d’expression et de valorisation, croisant les regards et les sensibilités des professionnels et des amateurs, des experts et des passionnés. Au-delà de l’enjeu patrimonial, ces espaces d’échange ont une forte dimension citoyenne et urbaine, car ils permettent de nourrir les débats sur la Ville et le cadre de vie de chacun. Ils visent à rendre les Nantais acteurs de la vie de leur ville, de leurs quartiers, par des sujets qui les rassemblent et leur ressemblent.
Une mobilisation citoyenne ancienne autour du patrimoine nantais
Les transformations urbaines et sociales que Nantes connaît depuis les années 1990 ont généré une forte demande mémorielle de la part des habitants et des associations. Ainsi, depuis une trentaine d’années, des citoyens nantais se chargent de transmettre l’histoire et la mémoire de leurs quartiers.
Ces démarches de réappropriation de l’histoire et de construction d’une mémoire locale bénéficient du soutien des Archives municipales depuis 1999 grâce à la création du service Histoire et mémoires des quartiers. Depuis 2009, une collection de publications Quartiers à vos mémoires initiée par les Archives de Nantes rend compte de ce travail.
De nombreuses autres démarches citoyennes sur le patrimoine ont également été menées depuis une vingtaine d’années : parcours découverte Laissez-vous conter (2009), le Conseil Nantais du Patrimoine (créé en 2009), les cartographies sensibles de quartiers (2009), le Dictionnaire de Nantes (publié en 2013), les inventaires participatifs du Bas-Chantenay (2013) et des Rives de Loire (2021) ainsi que les Plans Paysage et Patrimoine (PPP) initiés par la ville dans différents quartiers (2015-2021). Dix secteurs ont bénéficié des Plans Paysage et Patrimoine tel que Nantes Sud, Bellevue Chantenay Sainte-Anne, Dervallières - Zola, Erdre / Saint-Donatien, Toutes-Aides / Doulon, Hauts-Pavés Saint-Félix, Breil Barberie, Vallée du Cens à Nantes Nord, Nantes Erdre et Dobrée-Gigant.
Ces démarches se sont effectuées grâce à l’engagement de groupes d’habitants et d’associations, qui ont mené des recherches, inventorié des données, recueilli des témoignages, des photos, des documents anciens et ont ainsi contribué à l’histoire de la ville et de ses quartiers ainsi qu’à la fabrique des patrimoines.
Vers le prolongement digital des pratiques participatives présentielles
Forte de ces démarches participatives et des ressources des Archives de Nantes, la Ville de Nantes disposait d’une communauté, de savoir-faire participatifs ainsi que d’un socle de connaissances sur le patrimoine à la fois riche, dense et passionnant. Il fallait trouver un moyen de capitaliser ces informations éparses, de les rendre visibles et accessibles facilement par le plus grand nombre et surtout de permettre de prolonger et d’amplifier ces pratiques collaboratives existantes, d’où l’idée de Nantes Patrimonia.
Le projet est né d’une volonté politique forte, celle de promouvoir le dialogue citoyen au cœur de la vie démocratique locale. Ainsi, la création d’un « wikipatrimoine à la nantaise » comme outil de co-construction de la connaissance sur le patrimoine, faisait partie des projets culturels collaboratifs annoncés dans le programme de Johanna Rolland et de son équipe, pour les élections municipales de 2014.
Dès le début du projet, il est apparu naturel d’impliquer les citoyens nantais et les futurs usagers tout au long du processus de création de l’outil. Ainsi, entre 2016 et 2018, différents ateliers regroupant des citoyens, associations et professionnels du numérique et du patrimoine ont été menés afin de définir, dans un premier temps, le périmètre du projet – quelle définition du patrimoine, quels attendus de la plateforme en matière de contenus et de fonctionnalités –, puis, dans un second temps, afin de co-construire la maquette fonctionnelle et ergonomique du futur outil. Enfin, en juin 2018, les Nantais ont été conviés lors d’une rencontre pour échanger sur les modes de collaboration possibles en vue de participer à Nantes Patrimonia. Un temps d’échanges a été organisé, regroupant une cinquantaine de personnes. Cette rencontre s’est articulée autour des témoignages d’anciens participants de démarches participatives, qui pourraient potentiellement contribuer à la plateforme. Des ateliers pratiques ont également été proposés pour comprendre toutes les formes possibles de participation citoyenne. L’objectif était de démontrer que le futur outil se voulait être le prolongement digital d’une démarche présentielle déjà approuvée et que chacun pouvait y trouver sa place. Le résultat de ces ateliers s’est concrétisé par la mise en ligne de Nantes Patrimonia en mai 2019.
Observatoire : Nantes Patrimonia
L’un des principaux objectifs de ce futur outil Nantes Patrimonia est d’offrir aux personnes, quelles qu’elles soient, un espace numérique d’expression autour de la fabrique de la connaissance historique et des patrimoines (archéologique, architectural, industriel, maritime et fluvial, immatériel, archivistique, muséal). Véritable « encyclopédie vivante », ce portail numérique collaboratif patrimonial participera au partage et à l’enrichissement du patrimoine nantais, à destination du grand public. Au-delà des fonctions de découverte du patrimoine nantais, il intégrera également un large volet collaboratif.
Nantes Patrimonia : une plateforme numérique au service des patrimoines
Nantes Patrimonia est l’interface web d’un écosystème numérique qui permet de découvrir l’histoire et les patrimoines de Nantes. Les outils et bases de données collectent, stockent, traitent, analysent et restituent les données patrimoniales. Les utilisateurs peuvent explorer cette histoire à travers une cartographie interactive : le patrimoine autour de vous ; des parcours patrimoniaux thématiques autour de l’histoire d’un quartier, d’un thème ou d’une personnalité nantaise ; une encyclopédie vivante contenant des articles historiques, des iconographies, des vidéos, des contenus audio, et des références bibliographiques. De plus, le site propose des actualités culturelles et patrimoniales.
Nantes Patrimonia utilise principalement des ressources provenant des Archives de Nantes, du Dictionnaire de Nantes et des experts en architecture, archéologie et patrimoine industriel, fluvial et maritime de la DPARC, ainsi que des contributions apportées par des citoyens, des associations et des professionnels. La plateforme tente d’aborder le patrimoine au sens large et sous différents angles. Ils comprennent la géographie de la ville, tels que son substrat, son hydrographie, sa topographie, sa géologie, sa biodiversité. L’architecture et l’urbanisme sont aussi abordés, comme la « forme de la ville », son développement urbain, son patrimoine bâti, ses grands aménagements urbains. La société et la culture font partie des angles d’approche, tels que les modes de vie, les sujets du quotidien, le travail, les loisirs, les arts, les sports. Les événements nantais constituent également une approche importante, y compris les faits et les périodes de l’histoire nantaise ayant profondément marqué la ville et ses habitants, tels que la traite Atlantique, la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, les manifestations de mai 68… Enfin, les personnalités nantaises ayant eu un impact significatif sur l’histoire de la ville sont étudiées, y compris les femmes et les hommes qui ont contribué à son rayonnement.
Depuis 2020, des outils de contribution en ligne sont disponibles et permettent d’enrichir les contenus de la plateforme en apportant des compléments d’informations sur un article historique, en déposant une anecdote ou encore un témoignage. L’ensemble de ces contenus fait l’objet d’une modération avant publication.
La contribution peut aussi se faire par prise de contact directe avec l’équipe en charge de l’animation du site. Des temps de rencontre présentiels sont organisés afin de présenter les modalités de contribution, d’accompagner les contributeurs dans leurs recherches et ainsi d’assurer un suivi tout au long du processus, garantissant la qualité et la fiabilité des contenus produits. Ce mode de faire, plus individualisé et rassurant, reste aujourd’hui la méthode privilégiée des contributeurs.
Une démarche structurante ancrée dans un projet de direction
Afin de répondre aux enjeux du projet de direction et d’inscrire la démarche Nantes Patrimonia dans la durée, une restructuration des équipes du service a été nécessaire et a fait l’objet de la création d’un nouveau pôle « Développement des projets et partenariats culturels et scientifiques ». Ce pôle assure la coordination de la politique publique patrimoniale de manière transverse en développant, structurant et valorisant tous les projets et les partenariats qu’ils soient techniques, numériques, scientifiques ou culturels. Le pôle a ainsi pour principales missions de développer la coproduction des connaissances sur les patrimoines nantais, de garantir leur capitalisation, de favoriser leur partage et d’assurer une veille stratégique, évaluative et prospective.
Et c’est à ce titre que le pôle a en charge la coordination et le pilotage de Nantes Patrimonia. Le service s’est ainsi donné les moyens de faire vivre ce dispositif en dédiant une équipe de cinq personnes pour s’occuper du déploiement et de l’animation du site : une responsable de service/rédactrice en chef, un chargé de projets numériques pour le suivi technique, une chargée de médiation numérique pour le suivi des contributions, une chargée des ressources documentaires multimédias ainsi qu’une assistante de communication chargée de l’intégration des contenus. Ce travail du quotidien est mené en étroite collaboration avec les Archives de Nantes (contenus éditoriaux), la Direction du Dialogue Citoyen (volet participatif), la Direction de la Communication (stratégie de communication et réseaux sociaux) ainsi qu’avec le Département des Ressources Numériques (développement technique).
Une mobilisation et animation du quotidien
Les premiers mobilisés afin de contribuer sur le site sont les agents de la Direction du Patrimoine de l’Archéologie (DPARC). Ainsi chaque architecte, archéologue, archiviste ou chargé d’étude de la DPARC pilotant ou co-pilotant un projet comprenant de la production de connaissance patrimoniale, intègre dans sa méthodologie un volet « capitalisation / communication / valorisation » pour Nantes Patrimonia. À titre d’exemple, le projet de restauration de la grue noire, débuté en septembre 2022, a fait l’objet de la publication d’un article d’actualité, d’une page encyclopédique, d’un dossier thématique et d’un parcours autour des anciens chantiers navals Dubigeon. La plateforme sert ainsi de vitrine pour valoriser l’action publique en matière de patrimoine.
Le pôle « Développement des projets et partenariats culturels et scientifiques » travaille au quotidien à la mise en place de partenariats avec d’autres services tels que la Direction Nature et Jardin, la Direction à l’Urbanisme, les équipes de quartiers, des établissements culturels de la Collectivité comme la bibliothèque municipale, la médiathèque Jacques Demy, le musée Jules Verne, le château des ducs de Bretagne. Le pôle travaille également avec des structures institutionnelles tels que le service de l’inventaire régional, l’Institut national de l’audiovisuel avec la fresque « Nantes, métamorphose d’une ville » et des acteurs de l’enseignement supérieur comme l’université de Nantes, l’École centrale de Nantes, l’École de design, l’École d’architecture, ainsi qu’avec des partenaires associatifs tels que la Maison des Hommes et des Techniques, le Centre d’Histoire et du Travail, DASTUM 44, la Cinémathèque de Bretagne.
De nombreuses actions sont entreprises par le pôle afin de faire connaître la plateforme et de susciter la contribution et la participation sur le site. Nantes Patrimonia s’appuie notamment sur les réseaux sociaux de la Ville tels que Facebook, Twitter et Instagram pour diffuser des informations, ainsi que des appels à participation ciblés, tels que le recueil de témoignage dans le cadre des Journées européennes du patrimoine et du matrimoine (JEPM) 2023 sur la thématique du sport et du patrimoine vivant, ou encore le partage de souvenirs liés du carnaval. Nantes Patrimonia diffuse aussi une lettre d’information mensuelle présentant les dernières productions. Des campagnes d’affichage sur l’espace public sont également organisées. Des communications sont faites à l’échelle locale, régionale, nationale (avec le label « Territoire Innovant ») et même internationale (avec le réseau Eurocities et notamment le projet « Cultural Heritage in action »).
Conclusion
Après trois ans d’existence et de fonctionnement, Nantes Patrimonia est devenu un site à part entière dans le paysage numérique nantais. Encore peu connu du « grand public », la progression de la fréquentation n’en reste pas moins constante. En 2023, la plateforme comptabilisait 378 534 visiteurs (soit 1037 par jour) et 627 788 pages vues (soit 1719 par jour) contre 226 891 visiteurs (soit 621 par jour) et 398 209 pages vues (soit 1090 par jour) pour l’année 2022. Des actions de communication à travers les sites institutionnels, les réseaux sociaux de la Ville, la signalétique in situ ou lors d’événementiels, sont à l’étude afin d’optimiser la visibilité du site.
Le travail quotidien de mobilisation et d’animation de la contribution sur la plateforme semble toutefois trouver écho auprès des nantaises et des nantais. À titre illustratif, 62 % des pages encyclopédiques présentes actuellement sur le site (soit 543 pages sur 879) sont issues de contributions externes écrites par des associations, des universitaires, des partenaires professionnels, des structures institutionnelles et d’habitants, même si ces derniers restent peu nombreux. Ces contributeurs ont créé des articles sur divers sujets, présentant par exemple les établissements Aumon, les soupes communistes de 1907, les rosaces de tramway, les heurtoirs de porte, le parc floral de la Beaujoire, l’ancien hôpital Laënnec, les portraits de l’artiste Michel Noury ou la poétesse Hélène Cadou, etc.
On peut aujourd’hui parler d’une « communauté Nantes Patrimonia » car l’ensemble des contributeurs ayant participé à la démarche partage un intérêt et une passion commune, celui de transmettre une mémoire collective et singulière de Nantes.
Les premières analyses de la contribution sur le site ont permis de mettre en exergue que le profil type du contributeur individuel de Nantes Patrimonia reste actuellement le citoyen retraité « expert » dans un domaine spécifique. Un des grands enjeux pour l’équipe de Nantes Patrimonia, dans ces prochains mois et prochaines années, sera de réussir à diversifier les types de contributeurs. Cela passera notamment par des modes et des formats de contributions appropriées en fonction du public ciblé mais surtout par de la sensibilisation autour de la légitimité de chacun à contribuer.
Contenus additionnels
Observatoire : Nantes Patrimonia
L’un des principaux objectifs de ce futur outil Nantes Patrimonia est d’offrir aux personnes, quelles qu’elles soient, un espace numérique d’expression autour de la fabrique de la connaissance historique et des patrimoines (archéologique, architectural, industriel, maritime et fluvial, immatériel, archivistique, muséal). Véritable « encyclopédie vivante », ce portail numérique collaboratif patrimonial participera au partage et à l’enrichissement du patrimoine nantais, à destination du grand public. Au-delà des fonctions de découverte du patrimoine nantais, il intégrera également un large volet collaboratif.
Plateforme Nantes Patrimonia
Fresque « Nantes, métamorphose d’une ville »
Accéder à la fresque « Nantes, métamorphose d’une ville ».
Crédits : Mineurs du Monde, Ina
Notes prises lors du forum
Notes 7. Nantes Patrimonia
Noémie Boulay, Agathe Cerede, Pierre Fauvel (direction du Patrimoine et de l’Archéologie de la ville de Nantes)
Les intervenants commencent par décrire le projet. Nantes Patrimonia est géré par la direction du Patrimoine et de l’Archéologie de la Ville de Nantes. Ce projet regroupe les Archives de Nantes, des historiens amateurs, etc. pour travailler à la préservation et la transmission des savoirs sur le patrimoine nantais. Les porteurs du projet essaient de donner une place importante aux habitants en ouvrant des espaces de partage.
Les intervenants rappellent ensuite l’histoire du projet. Nantes Patrimonia se lance en 2015 et le site voit le jour en mai 2019. Le site est composé d’articles thématiques (textes, images, témoignages), enrichis par un volet cartographique (une carte interactive de la ville, intégrant des parcours numériques autour d’un quartier, d’une personnalité, etc.). Le projet est complété par un agenda présentant des actualités (évènements, etc.) et une chaîne YouTube.
Les contributeur·ice·s sont multiples : agents de la ville, archives de Nantes, musées et bibliothèques, associations… mais aussi des citoyens (passionné·e·s, étudiant·e·s, beaucoup de retraité·e·s), qui envoient des contenus (textes, anecdotes, photos) spontanément soit en contact avec les agents ou directement sur la plateforme, mais aussi dans le cadre d’appels à participation. Une petite équipe est chargée du développement et de l’animation du site (six personnes), dont le travail est enrichi par la collaboration avec les autres services de la métropole.
La communication avec la communauté s’opère à travers les réseaux sociaux de la métropole ou les campagnes d’affichage pour susciter la contribution. Il existe également une lettre d’information pour mettre en avant certaines contributions, notamment en lien avec l’actualité du projet.
Depuis 2019, le projet compte 148 actualités, 44 parcours, 400 notices cartographiques, 877 articles encyclopédiques (dont plus de la moitié issus de contributeurs externes). Les visites sont nombreuses et en augmentation. Le contact direct et l’accompagnement des contributeur·ice·s sont appréciés, bien que soient remontées quelques difficultés d’appropriation de l’outil technique et de ses contraintes éditoriales.
Pour finir, quelques pistes ont été avancées pour stimuler la contribution et renforcer la communauté : renforcer la communication, s’appuyer sur des « ambassadeur·ice·s » pour structurer et élargir la communauté, aboutir à une nouvelle version du site prochainement. Une thèse Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche) va démarrer autour des usages.
Notes 11. Mémoire Ciclic
Claire Scopsi (maitre de conférences, CNAM)
Claire Scopsi est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au CNAM.
Elle explique qu’elle réalise des études des contributions, commentaires (et remixage) de films amateurs de la plateforme Mémoire Ciclic.
Pendant un an et demi, le travail s’opère avec une agence régionale pour le livre et l’image au Centre-Val de Loire pour aboutir à Ciclic. Il y a un fonds de soutien au cinéma et au secteur du livre qui accueille des artistes en résidence et organise des formations dans les écoles, etc. Il y a également une médiathèque régionale (l’une des plus anciennes de France) incluant des films amateurs, réalisés sur la région ou par des habitants de la région. Beaucoup de films de famille, réalisés depuis les années 1920, sur divers supports physiques. Depuis le début du projet, un jeu a été mis en place, les Sherlocks, demandant aux usagers de trouver des informations sur un film mis en avant : qui est tel personnage, où le film est-il tourné, quelle est l’époque, etc. ? Les habitants participent ainsi à recontextualiser les images.
Justement, le projet de recherche consiste à analyser les commentaires des usagers, publiés entre 2010 et 2021. Environ 11000 commentaires, dont 3000 proviennent de l’animateur du site. Parmi les contributions restantes, on observe une forme extrême de longue traîne : un utilisateur massif, deux utilisateurs réguliers… et une énorme majorité d’utilisateurs ne postant qu’une seule contribution. Ce qui complique beaucoup les analyses (les statistiques globales sont surtout des statistiques personnelles de ces usagers sur-représentés).
L’activité est ainsi hypercentrée sur trois utilisateurs. L’intervenante en conclut que l’activité contributive est peu génératrice de lien social : les usagers postent toujours sur les mêmes films et dialoguent peu (sauf un binôme d’usagers massifs qui se répondent). Les commentaires sont effectués le plus souvent pendant les jours et heures ouvrables. On ne parvient pas à identifier de logique de date ou de thèmes qui indiquerait une certaine prédilection. Ce serait surtout l’incitation des documentalistes qui serait motrice de contribution (et non des passions spécifiques des usagers).
L’analyse lexicale montre une prévalence des termes liés aux lieux (rue, maison, pont, gauche), qui indiquerait une activité de description. Des éléments issus d’URL montrent que les usagers s’appuient sur des liens (notamment des sites de cartes postales anciennes) dans leurs pratiques de description des images.
Le jeu des Sherlocks semble peu représenté dans le corpus ; il semblerait que ce soit l’enquête patrimoniale (le processus de recherche/vérification) et l’avancée de la connaissance qui soient gratifiantes, plutôt que les « points » gagnés à travers le jeu. Ce n’est pas réellement une communauté qui est ainsi créée (pas de liens forts apparents), mais néanmoins un groupe très courtois. De plus, l’intervenante montre des indices d’une prolongation du travail d’enquête dans le monde physique, de présentation des films à d’autres personnes, procédé qui est évoqué comme « émouvant« .
Pour conclure, l’intervenante explique que généralement sur les blogs de mémoire des territoires créés hors institutions, on observe trois M : manque (fort sentiment de perte), militance (s’organiser/agir pour défendre le patrimoine) et malheur (récit d’événements pénibles, de catastrophes). Ce n’est pas du tout le cas pour Ciclic : peu de commentaires de déploration, d’évocation du malheur, de protestation. Le travail d’enquête pourrait avoir compensé l’impression de manque, car on découvre que la mémoire est là, qu’elle existe encore, qu’elle est préservée. La troisième phase de l’étude, à faire, est de rencontrer les utilisateurs et valider les hypothèses.