Généricité des plateformes culturelles contributives
Cécile Payeur,
« Généricité des plateformes culturelles
contributives », dans
Marta Severo,
Roch Delannay (dir.),
Contribution numérique : cultures et
savoirs (édition augmentée), Les Ateliers de [sens
public], Montréal, 2024, isbn : 978-2-924925-29-4, http://ateliers.sens-public.org/contribution-numerique/chapitre2.html.
version 0, 15/06/2024
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA
4.0)
Introduction
Depuis l’émergence du web 2.0O’Reilly, Tim. 2005. « What Is Web 2.0 ».↩︎, les dispositifs contributifs d’écriture et de publication, assemblages momentanés d’éléments constitutifs instaurant diverses médiationsLatour, Bruno. 2010. « Prendre le pli des techniques ». Réseaux, vol. 163, nᵒ5, p. 11-31.↩︎, n’ont cessé de se renouveler, de se densifier et de se complexifierMonnoyer-Smith, Laurence. 2013. « Chapitre 1 - Le web comme dispositif : comment appréhender le complexe ? », dans : Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales sous la direction de Christine Barats, p. 11-31. Armand Colin.↩︎. Dans le domaine culturel et scientifique, les dispositifs info-communicationnels, centrés initialement sur une plateforme numérique, incluent désormais différentes interfaces, espaces et outils, parfois difficiles à délimiter, offrant des capacités d’action nouvelles à des utilisateurs « qui acquièrent une vraie reconnaissance qui en fait “des professionnels au sein de leur hobbies” appelé parfois proteurs (professionnels-amateurs)Flichy, Patrice. 2019. « Le travail sur plateforme : Une activité ambivalente ». Réseaux, vol. 213, nᵒ1, p. 173-209.↩︎ » et interagissent avec les institutionsSevero, Marta. 2021. L’impératif participatif : Institutions culturelles, amateurs et plateformes. Collection Études & Controverses, Éditions de l’Ina.↩︎. Est-il possible, au sein de cette complexité, de trouver du commun ? Peut-on identifier, dans la disparité, des lignes directrices qui soient en mesure d’orienter un acteur nouvellement intéressé par la mise en place de ce type de dispositif, en tenant compte à la fois des lignes génériques et des caractéristiques spécifiques à chaque projet ? Cet article, à partir du concept de généricité, questionne la possibilité de trouver une « ossature commune » aux dispositifs culturels contributifs, en interrogeant à la fois ce qu’ils partagent et la façon dont ils se renouvellent. Nous y présentons la notion de généricité, les étapes de la recherche et différents niveaux de généricité observables, pour affiner les modalités de conception de futures plateformes culturelles contributives.
Cadre et objet de la recherche
La recherche autour de la généricité des plateformes a été menée de 2019 à 2022 dans le cadre du projet ANR COLLABORA, qui vise à étudier d’un point de vue théorique les plateformes contributives dans le domaine culturel, au sens large du terme, avec pour objectif « la co-création de recommandations et leur validation à travers la co-création d’une plateforme, en engageant dans cette démarche les principaux acteurs du projet : les institutions, les amateurs, les chercheurs et les ingénieursCf. le site du projet ANR COLLABORA.↩︎ ». L’observatoire construit au cours du projet recense plus d’une centaine de « dispositifs contributifs culturels » qui permettent « à des acteurs de la société civile de contribuer à la construction de savoirs liés à des objets culturels en interaction avec une ou plusieurs institutions culturelles (archives, bibliothèques, musées, théâtres ou directement une administration centrale comme le ministère de la Culture)Cf. l’observatoire des plateformes culturelles contributives.↩︎ » et permet d’en analyser les caractéristiques de manière transverse. Elle s’appuie également sur un travail d’analyse réalisé pour le colloque Collabora et sur différents projets effectués par les étudiants de deuxième année du Master DEFI de l’Université Paris Nanterre, sous notre encadrement. Quatre projets de fin d’études ont permis successivement : la construction d’une base de données de référencement des plateformes en vue de la mise en place d’un observatoire participatif, une étude sur les outils de génération des plateformes dans un objectif de catégorisation, à partir des données de l’observatoire, une étude pratique sur la comparaison des modalités de participation sur différentes plateformes culturelles contributives, avec pour but l’enrichissement des données de l’observatoire, et une analyse sur la catégorisation des formes génériques/spécifiques de manière interne aux plateformes.
La notion de généricité est appréhendée ici de différentes manières. Nous l’entendons d’abord au sens d’abstraction (générique/particulier). Le processus est celui à l’œuvre dans les raisonnements de conception comme, par exemple, la théorie C-K, issue des sciences de gestion et sollicitée pour la modélisation de raisonnements de conception innovante. Elle met en dialogue l’exploitation des connaissances spécifiques et situées issues du terrain (K) et l’élaboration de concepts génériques (C) à partir d’opérations inverses mais complémentaires de conjonction et de disjonctionLe Masson, Pascal, Armand Hatchuel et Benoît Weil. 2020. Integrated Design Engineering - Interdisciplinary and holistic product development. C-K Design Theory.↩︎.
La notion de généricité est également liée à la notion de genre, issue de la linguistique et de la caractérisation des discours, que le web vient interrogerMaingueneau, Dominique. 2013. « Chapitre 4 - Genres de discours et web : existe-t-il des genres web ? », dans : Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales sous la direction de Christine Barats, p. 74-98. Armand Colin.↩︎. Elle entraine la recherche d’invariants (motifs/pattern) qui permettent d’identifier et de caractériser les dispositifs. Enfin, la généricité est employée dans le sens de ré-exploitable, c’est-à-dire liée à des caractéristiques permettant la génération et l’expansion interne du dispositif. Lorsque le niveau de généricité est fort, les plateformes portent en elles un potentiel d’innovation, qui les rend facilement appropriables – puisque transverses – par des utilisateurs qui deviennent potentiellement actifs dans le renouvellement de la plateforme. Ces dispositifs sont porteurs d’innovation, « présente à partir du moment où l’invention, qu’elle porte sur la solution ou sur le processus, va être reproduite et réutilisée pour répondre à d’autres problèmes similaires. Elle constitue un acquis qui bénéficie à une communautéZacklad, Manuel, Béa Arruabarrena, Anne Berthinier-Poncet et Nicolas Guezel. 2021. « Les labs d’innovation interne : typologie des innovations, approche plateforme, rôle du design ». Approches Théoriques en Information-Communication (ATIC), vol. 213, nᵒ1, p. 127-161.↩︎ ».
Généricité liée à l’interfaçage
Un premier niveau de généricité observé se situe au niveau des interfaces, au sens large du terme, c’est-à-dire dans la façon dont les plateformes entrent en lien avec d’autres outils pour se constituer. Nous avons identifié plusieurs manières de faire plateforme, qui s’établissent dans un processus de plateformisationPayeur, Cécile et Lisa Chupin. Novembre 2020. « Génération et généricité des plateformes de valorisation participative du patrimoine numérisé », [Conférence] La fabrique de la participation culturelle. Plateformes numériques et enjeux démocratiques, à Nanterre (France).↩︎. Une première logique est le détournement de certaines plateformes génériques du web social et l’appropriation par des acteurs porteurs de projets spécifiques, afin d’être mises au service de la participation. Les réseaux sociaux, en venant s’adosser aux plateformes participatives, comme outils de communication mais aussi comme outils de recrutement d’utilisateurs, de collecte de matériaux et d’animation d’une communauté, fournissent un milieu à la fois très formaté et facilement appropriable par des utilisateurs qui en maitrisent les usages. Les pages Facebook dédiées aux projets Vitrines en confinement et l’Observatoire Participatif du Risque de Canicule en attestent.
Observatoire : Observatoire Participatif du Risque de Canicule
Face au risque de canicule, comme face à beaucoup d’autres risques naturels, les populations doivent très souvent se débrouiller par leurs propres moyens et développer par elles-mêmes les compétences et les solutions nécessaires. En partant de ce constat, nous avons pris le parti de suivre ici la démarche des sciences participatives et d’impliquer tou.te.s les volontaires dans une démarche d’enquête collective sur les multiples façons dont nous vivons ce risque de canicule et nous faisons face. Cette enquête prend au moins trois formes : d’abord celle d’une immersion de terrain dans le Gard où nous allons à la rencontre des gardois.es pour comprendre leur perception de la canicule, ensuite celle d’ateliers de co-design où nous travaillons avec eux sur les façons d’y faire face et enfin des dispositifs sur les réseaux sociaux pour permettre à tous les habitants de la France concerné.es de partager leur propre expérience sur ce sujet.
Ces espaces sur les réseaux sociaux, actifs et bien interfacés avec les plateformes, viennent renforcer et compléter les sites web dédiés des projets (ici, Risque canicule et Vitrines en confinement). Une autre logique de plateformisation, qui a émergé plus particulièrement au sein de certaines plateformes monothématiques ou dédiées à un projet unique, prend la forme de différents projets réalisés parallèlement ou successivement à partir d’un ensemble d’outils communs aux différentes missions. C’est le cas des projets participatifs de transcription d’archives Testaments de Poilus ou du projet Recolnat, porté par le réseau de collections naturalistes.
Observatoire : Testaments de Poilus
Le projet Testaments de Poilus vise à produire une édition électronique d’un millier de testaments des Poilus de la Première Guerre mondiale retrouvés dans les fonds des Archives nationales et des Archives Départementales des Yvelines. Il vise à rendre ces testaments accessibles au grand public et aux chercheurs, c’est aussi en permettre la lecture au plus grand nombre. Les internautes sont invités à transcrire le texte des testaments en déchiffrant les dernières volontés des Poilus. Afin que ces transcriptions soient lisibles en ligne et réutilisables par les chercheurs amateurs et professionnels, nous demandons aux internautes de baliser leur transcription avec un encodage informatique. Cela permet de proposer aux lecteurs deux versions du texte : l’une qui respecte l’orthographe et la mise en page d’origine, l’autre qui en propose une version corrigée, adaptée à la lecture sur écran et enrichie d’informations spécifiques (dates, lieux, structure du texte). Enfin, les connaissances des bénévoles sont sollicitées pour enrichir les notices des testateurs, des régiments et des lieux de bataille. Collecter et rassembler ces informations fait vivre la mémoire de soldats morts pour la France dans le cadre des commémorations du Centenaire de la Première guerre mondiale.
Une logique différente, encore, est celle de l’ouverture d’une partie des outils aux internautes – la génération par Content Management System (CMS) d’un programme participatif ou des outils de communication, par exemple – offrant une forme de communication du discours scientifique assez standardisée. La plateforme participative multidisciplinaire Zooniverse permet aux utilisateurs, à l’aide de la fonctionnalité « construire un projet », de répondre à des demandes issues de différentes disciplines en créant de nouveaux projets au fur et à mesure. L’utilisateur devient son propre éditeur, non plus uniquement de contenu, mais aussi de projet. Une logique de plateformisation par agrégation de projets et de données est également identifiable, comme sur la plateforme DigitalNZ dont la vocation est la numérisation et la valorisation du patrimoine culturel néo-zélandais. Dans la plateforme, chaque utilisateur est invité à rattacher son projet spécifique à un portail générique.
Observatoire : DigitalNZ
DgitialNZ est une plateforme d’agrégation de données produites par les institutions néo-zélandaises également ouverte aux données des particuliers. Elle propose également une API permettant la libre réutilisation de ces différents ensembles de données. Les données collectées sont essentiellement patrimoniales : issues de musées, d’archives, de ministères etc.
Généricité liée à la génération des plateformes
Un second niveau de généricité concerne les outils de génération des plateformes, qui peuvent être eux-mêmes plus ou moins génériques. Le degré de généricité des plateformes parait en lien avec les potentialités créatives de l’outil, mais aussi avec la composition d’un milieu dans lequel l’utilisateur est habile. Au niveau de la génération des outils et du code informatique, la différenciation se fait notamment dans le choix d’une manière de créer la plateforme, c’est-à-dire dans le choix d’un développement propre/spécifique ou de l’utilisation d’outils génériques paramétrables. L’étude des outils de génération de plateformes menée en 2020 par les étudiants du Master DEFI montre qu’une plateforme sur deux est développée à l’aide d’outils génériques du web (CMS). Les utilisateurs présentent une familiarité avec les usages et les fonctionnalités d’écriture/lecture de ces outils. Non seulement ils se les approprient facilement, mais, nous l’avons vu ci-dessus, ils sont efficacement outillés et héritent de capacités d’action dans la plateforme, notamment de création. La généricité des outils contraint bien à une certaine standardisation des projets, mais, dans le même temps, elle permet la mise en place d’un dispositif info-communicationnel dans lequel l’utilisateur sait agir, participer, et même au-delà, qu’il contribue à renouveler et à créer.
Arbitrages générique - spécifique
L’arbitrage entre les modalités génériques et spécifiques dans lesquelles l’utilisateur transite et agit semble également jouer un rôle important. Les fonctionnalités très génériques communes à l’ensemble des plateformes – comme la communication, l’information, la contribution, la publication de contenu – peuvent être prises en charge facilement par les outils numériques génériques internes ou externes à la plateforme (web social, CMS, etc.). L’outil générique vient alors à l’appui de la plateforme spécifique, comme c’est le cas, par exemple, pour la plateforme Histoires de Ch’tis qui a peu évolué depuis sa création, mais à laquelle une page Facebook adossée dans un second temps apporte désormais un réel outil d’animation et de recrutement de la communauté.
Observatoire : Histoires de Ch’tis
La plateforme Histoires de Ch’tis propose des témoignages destinés à faire découvrir et à redécouvrir ce qu’était la vie dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Le projet repose sur la conservation de la mémoire collective de la vie des ch’tis et permet de publier des souvenirs des internautes intéressés par le sujet
Ces fonctionnalités génériques sont, dans le même temps, reliées à des fonctionnalités plus spécifiques, qui peuvent s’établir au sein des espaces numérique ou physique. Dans l’espace numérique, elles sont généralement intégrées directement dans la plateforme – nous pensons, par exemple, à la boutique en ligne de la galerie d’art contributive DeviantArt ou à des fonctionnalités de contribution poussées comme les modules de transcription, pour les plateformes Transcribe Bentham ou Transcrire.
Observatoire : DeviantArt
DeviantArt est une communauté artistique en ligne. Les contributeurs peuvent exposer ses propres créations graphiques et littéraires. Les contributeurs peuvent faire connaitre leur travail ou échanger avec les autres contributeurs/artistes.
Observatoire : Transcribe Bentham
Transcribe Bentham est une initiative participative primée qui a été lancée en 2010 et qui est basée sur le projet Bentham de l’University College London. Son but est de faire participer le public à la transcription (ou dactylographie) en ligne de manuscrits originaux et non étudiés écrits par Jeremy Bentham (1748-1832), le grand philosophe et réformateur. Au dernier décompte, les bénévoles ont transcrit plus de 20000 pages des écrits de Bentham. La plateforme concerne également une collaboration à l’échelle mondiale : les internautes peuvent participer au projet en s’inscrivant sur le site. Le fonctionnement est organisé de cette manière : un manuscrit est choisi par la personne inscrite en fonction de la chronologie, de la difficulté ou de la thématique et celle-ci peut transcrire son manuscrit de Bentham. Une fois le manuscrit sélectionné, l’internaute est redirigé vers une interface où elle pourra commencer à transcrire.
Observatoire : Transcrire
Transcrire est une plateforme libre de transcription collaborative de documents manuscrits numérisés provenant de fond d’archives scientifiques associée à l’infrastructure de recherche Huma-NUM dédiée aux lettres, sciences humaines et sociales et humanités numériques développée par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et en lien avec le CNRS, Aix-Marseille Université et le Campus Condorcet. Les publics visés par la plateforme sont des chercheurs en SHS et des publics amateurs ce qui démontre qu’il s’agit d’une plateforme dédiée aux sciences participatives en Sciences Humaines et Sociales. La particularité de la plateforme est de proposer aux personnes intéressées par la transcription, un espace en ligne pour transcrire des documents numérisés en mode image avec la possibilité de suivre, de vérifier, de corriger et de valider des textes transcrits. Les archives qui sont publiées sur la plateforme sont issues de carnets de terrains de chercheurs mais également en provenance de collections patrimoniales issues des bibliothèques de recherche en Sciences humaines et Sociales.
Dans l’espace physique, des fonctionnalités spécifiques essentielles au dispositif peuvent être implémentées sous la forme de temps et de lieux de regroupements des acteurs de la communauté, de façon ponctuelle ou régulière. La plateforme Archipop, qui a pour mission la collecte, la numérisation et la valorisation des films des Hauts-de-France, fournit un exemple parlant de ces événements, que l’on retrouve de manière fréquente et récurrente dans les dispositifs.
Observatoire : Archipop
Le projet Archipop a pour mission de collecter, sauvegarder, conserver, documenter et valoriser les archives cinématographiques et audiovisuelles sur le territoire picard (Aisne, Oise, Somme). Depuis 2015, il s’est progressivement élargi sur le Nord-Pas-de-Calais en s’appuyant sur des partenariats avec des associations très bien implantées sur ce territoire. Archipop rassemble aujourd’hui plus de 1 403 heures de films issues de plus de 609 collections soit plus de 7 679 bobines sauvegardées. Chaque mois ce fonds s’enrichit en moyenne de plus 10 heures d’archives nouvelles.
L’agenda numérique disponible en ligne propose d’assister à différentes projections au sein de lieux en rapport avec les thématiques des films et soutenues par les collectivités territoriales, ce qui stimule la mobilisation des contributeurs.
Conclusion : vers une méthodologie de conception des plateformes culturelles contributives
Nous avons tracé de premières lignes directrices vers la mise en place d’une méthodologie de conception de plateformes culturelles contributives, dans laquelle il conviendrait de considérer chaque plateforme avec une approche dispositive, c’est-à-dire en envisageant à la fois « la nature du lien qui peut exister entre ces éléments hétérogènesVoir le texte de Michel Foucault (1977), accessible en ligne.↩︎ » et la façon dont elle est en renouvellement constant. En complément d’une approche par fonctionnalités, usages ou pratiques, c’est l’approche par la globalité du dispositif info-communicationnel et la manière de mettre en relation différents éléments selon des motifs identifiables, dans un ensemble en mouvement, que nous apporte la notion de généricité. L’enjeu serait dès lors de réussir à clarifier l’intention, à distinguer les éléments communs à différents projets et ceux qui nécessitent une adaptation spécifique (développement de fonctionnalités ou d’outils numériques spécifiques, mise en place d’évènements dans des lieux physiques, etc.). L’enjeu est la conception adaptée d’un dispositif info-communicationnel innovant, avec un arbitrage fin entre des lignes génériques et des lignes spécifiques selon une logique propre à chaque projet. Le choix des outils et la conception du dispositif final semblent liés, entre autres, à l’identification des modalités de mise en commun entre les outils du numérique qui répondent à une certaine logique de plateformisation – dont il s’agit de penser les éléments de l’interfaçage –, à une articulation efficace entre les espaces physiques et numériques permettant de créer des lieux et des temps d’action différents, à la différenciation entre des fonctionnalités spécifiquement développées pour la plateforme et des fonctionnalités communes à d’autres outils génériques, qui peuvent leur être déléguées ou mutualisées avec d’autres projets, avec un degré d’action et de participation variable de l’utilisateur pouvant agir comme contributeur, mais également comme designer, dans le sens où il devient capable d’effectuer des actions de génération du dispositif (en créant des briques de projets ou en recrutant des participants, par exemple) et garantissant par là-même l’évolutivité du site et l’implication de la communauté.
Notes prises lors du forum
Notes 14. Modèles socio-économiques
Olivier Thuillas (maître de conférences, Université Paris Nanterre)
Olivier Thuillas est maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris Nanterre, laboratoire DICEN-idf (Dispositifs d’Information et de la Communication à l’Ère Numérique). Il étudie les plateformes contributives avec une approche socio-économique.
Il commence par exposer que, sur les plateformes qu’il a étudiées, il y a des modèles économiques qu’il a réunis dans une typologie qu’il va présenter.
Le premier consiste à avoir des formes de publicité. C’est le plus représenté. C’est le cas de Babelio, de FestView ou d’Anobii.
Le second modèle est celui du Freemium/Premium. Il s’agit d’une offre avec un accès limité d’un côté, et des contenus et services annexes en premium de l’autre. L’intervenant prend l’exemple de Geneanet, Radiooooo ou encore Babelio qui a développé un service pour les bibliothèques par exemple.
Le troisième modèle correspond au rachat de la plateforme par les entreprises. L’exemple donné est celui du projet Tric Trac qui a été acheté par une entreprise, car il a eu beaucoup de succès.
Le quatrième est celui de plateformes portées par des organismes publics ou semi-publics. Pour ces projets se posent les questions de la permanence du financement ou encore de la pérennité du porteur.
D’autres modèles sont présentés, comme les fondations, ou les particuliers passionnés qui subventionnent les plateformes, le crowdfunding, c’est-à-dire le financement participatif.
Olivier Thuillas termine en expliquant qu’il y a forcément des coûts de développement pour les plateformes numériques (maintenance continue, mise à jour, etc.). La question du financement se pose donc à chaque fois.
Notes 15. Grand Comics Database
Benjamin Barbier (maitre de conférences, Université Paris Nord)
Benjamin Barbier a étudié de nombreuses plateformes comme Grand Comics Database ou encore Geneanet. Il s’intéresse en particulier au monde associatif et à la manière dont des amateurs créent des plateformes collaboratives et les synergies qui se créent avec d’autres acteurs dans le temps.
Benjamin présente la plateforme Grand Comics Database. C’est une base de données en ligne visant à répertorier l’ensemble des bandes dessinées publiées dans le monde sous divers formats. Elle est particulièrement fournie en ce qui concerne les comics books, en sachant que ce sont des amateurs qui prennent en charge l’indexation (métadonnées du document).
L’intervenant rappelle l’histoire de la plateforme. Au début, les amateurs s’échangeaient des disquettes avec des listes de comics, puis il y a eu la création d’un forum. Puis un Norvégien a décidé de créer une base de données numérique. L’objectif était d’indexer tous les magazines de comics dans le monde pour avoir une vue d’ensemble.
Aujourd’hui, le moteur de recherche propose 70 champs (auteurs, dessinateurs, nombre de pages, personnages qui apparaissent dans le numéro, etc.) ce qui représente énormément de données. Au total, près de 400 000 titres ont été recensés sur la plateforme. La Library of Congress les a contactés pour réaliser une expertise sur leur collection.
En ce qui concerne les financements, la plateforme est associative et elle est financée par ses membres (environ 15 dollars par an). Il n’y a pas de publicité. Enfin, les évolutions et les décisions qui concernent la plateforme sont prises par un groupe d’anciens bénévoles. Ce sont les contributeurs les plus actifs. Une évolution dans la hiérarchie est possible.
Notes 17. Généricité des plateformes
Cécile Payeur (maitre de conférences, Université Paris Nanterre)
Cécile Payeur expose une présentation sur la généricité des plateformes. Ce travail de recherche touche à la conception des plateformes, c’est une analyse comparative des plateformes recensées par l’observatoire des plateformes culturelles contributives de l’ANR. L’objectif est de réfléchir au phénomène de plateformisation et de chercher ce qui est commun entre les plateformes, en s’intéressant aux recompositions, recombinaisons et aux réarticulations des plateformes. Pour ce faire, l’enquête s’intéresse aux plateformes de critique culturelle. La recherche liste les fonctionnalités, essaie de trouver leurs points communs et s’intéresse à l'évolution (ou pas) de ces différents éléments. La notion de généricité renvoie à l’abstraction, aux motifs, aux générations d’outils. Les plateformes peuvent être porteuses d’innovation si elles peuvent être reprises et utilisées par d’autres.
Sur 80 plateformes, 30 % ont eu des développements spécifiques. 30 % passent par un CMS (ex. Wordpress ou OMEKA). 20 % des autres sont des outils de type wiki et réseaux sociaux, avec un point fort sur la notion de communauté.
Pour finir, deux questions sont posées. La généricité est-elle une force de la plateforme ? La plateforme doit-elle être pensée en tant qu’artéfact ou en tant que dispositif ?