Archives de Saint-Brieuc
Changer de sujet. Ce que les droits culturels f(er)ont aux sciences participatives du patrimoine
Yolaine Coutentin,
« Archives de Saint-Brieuc », dans
Marta Severo,
Roch Delannay (dir.),
Contribution numérique : cultures et
savoirs (édition augmentée), Les Ateliers de [sens
public], Montréal, 2024, isbn : 978-2-924925-29-4, http://ateliers.sens-public.org/contribution-numerique/chapitre5.html.
version 0, 15/06/2024
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA
4.0)
Introduction
Le titre de mon article est un emprunt assumé à celui de Philippe Teillet : « Ce que les droits culturels f(er)ont aux politiques culturelles » paru dans L’Observatoire, la revue des politiques culturelles, en 2017. Ma réflexion sur l’apport du contributif aux sciences participatives se situe en effet dans le cadre du service Archives et patrimoine de la ville de Saint-Brieuc que je dirige et dont l’action se place dans le champs des politiques culturelles publiques. Pourtant, les expériences de sciences collaboratives menées dans le service semblent impacter davantage la création du savoir que la réflexion sur la démocratie culturelle dans la collectivité. Tous les deux proposent un changement de sujet c’est-à-dire une place nouvelle accordée aux citoyens. Mais les droits culturels ont une finalité politique alors que les sciences contributives ont un objectif de recherche de résultat.
Droits culturels et politique culturelle publique
Les droits culturels, malgré leur nom, ne doivent pas être circonscrits au seul domaine juridique. Comme les droits de l’homme dont ils sont une déclinaison, leur objectif est politique, sociétal et philosophique. Ils se basent sur la définition de la culture de l’UNESCO énoncés lors de la conférence de Mexico en 1982 dans laquelle la culture est considérée comme ce qui caractérise une société.
Cette définition sous-tend qu’un groupe humain, privé brusquement d’État et donc de politique publique, culturelle ou autre, (ré)inventerait la musique, les récits, aussi bien mémoriels que fictionnels, la curiosité du monde qui l’entoure, etc. La culture préexiste aux politiques culturelles.
En France, les politiques culturelles publiques sont largement cadrées par la pensée de Malraux telle qu’elle transparaît dans le décret n° 59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère chargé des Affaires culturelles :
Le ministère chargé des Affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent.
La culture, en France, est définie comme étant la mission, l’objet, d’un ministère. C’est l’État centralisé ici qui est le sujet de l’action culturelle, non les citoyens, pas plus que des instances fédérales ou régionales. Dans les pays fédéraux ou ceux, comme l’Espagne, qui sont dotés d’instances régionales fortes, la pluralité des points de vue inscrite dans la structure institutionnelle modifie de facto le paradigme.
La décentralisation, engagée en France depuis 1983, aurait-elle changé la donne et permis une plus grande prise en compte des droits culturels dans les politiques culturelles publiques qui s’écrivent désormais au pluriel ? Les droits culturels sont inscrits dans la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) depuis 2015 et sont donc censés être appliqués par les collectivités territoriales. À Saint-Brieuc, les dernières élections municipales ont amené au pouvoir une équipe soucieuse de porter un projet de démocratie permanente mais la charte de la démocratie permanente adoptée en conseil municipal 4 avril 2022 ne cite pas du tout les droits culturels.
« Qu’est-ce je peux faire pour vous ? » : bien commun et intérêts particuliers
Si les expériences menées par les Archives de Saint-Brieuc n’ont donc pas été impulsées par une politique publique locale volontariste, quels sont les mécanismes à l’origine de la mise en place de sciences participatives dans ce service ? La réouverture du service des Archives, en 2001, s’était accompagnée de propositions d’animations culturelles comme des conférences et des cours de paléographie. À la fin d’un de ces derniers, un érudit local habitué des Archives nous a expliqué qu’il trouvait la démarche très intéressante mais que cela ne résolvait pas son problème, à savoir qu’il avait un document, issu du fonds des Archives départementales, qu’il n’arrivait pas à lire et que cela le bloquait dans l’article qu’il souhaitait rédiger. Nous avons décidé de créer un club de paléographie dont le fonctionnement était collaboratif : chacun pouvait apporter, ou non, un document à transcrire et tout le monde s’employait à résoudre les problèmes paléographiques. C’est de cette logique que sont nés ensuite les premiers projets collaboratifs auxquels les plateformes d’internet ont donné une plus grande audience. Ce sont les citoyens, futurs collaborateurs potentiels, qui choisirent les fonds qu’ils souhaitaient traiter et les traitements qu’ils souhaitaient opérer. Pour autant, est-ce que les droits culturels impliquent de laisser aux citoyens seuls les clés de la recherche scientifique ? Le risque serait alors que le bien commun soit confisqué au profit d’intérêts particuliers. Dans son guide pratique « Actions », l’Agenda 21 de la culture place en premier titre les droits culturels. Il y est stipulé que :
les droits culturels sont incompatibles avec les discours donnant une lecture figée de la culture ou de l’identité en les réduisant à des expressions simplistes et populistes, qui déforment l’histoire et limitent les libertés. L’identité prédéfinie n’est plus une condition préalable régulatrice pour réguler notre existence commune. De nos jours, sa construction est devenue un facteur fondamental d’un projet collectif. Alors qu’elle n’était qu’un point de départ, l’identité est désormais devenue un processus négociable.
Le processus de négociation et d’élargissement permanent qui est la base des droits culturels exclut que des intérêts particuliers, sectaires et populistes ou bien simplement privés et individuels prévalent. C’est là précisément le rôle que doit jouer le professionnel de la culture comme l’instance scientifique, chef d’orchestre et non plus « tout-sachant ». Dans les projets portés par les Archives municipales, la validation de l’archiviste, représentant d’une instance politique légitimement élue, intervient après négociation avec les citoyens-contributeurs.
Le « qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » est bien à la base de nos projets, le « vous » étant le collectif, le bénéficiaire commun.
Si on analyse les différents projets portés par les Archives, on s’aperçoit tout d’abord que la question du support technique est pour nous secondaire et tributaire du choix des contributeurs, même s’il peut parfois être un catalyseur d’action.
Pour le projet de la correspondance de Jean-Louis Bagot, maire puis député au moment de la Révolution, Wikisource, jugé trop complexe à s’approprier, a été écarté par les contributeurs au profit de Transkribus. Développé par l’université d’Innsbrück, Transkribus est un logiciel d’aide à la transcription qui permet une édition en TEI (Text Encoding Initiative) du texte et des indexations.
Il propose un certain nombre de tâches automatisées comme la reconnaissance des zones de texte et des lignes qui serviront ensuite de support à la transcription. Sur des textes manuscrits comme les délibérations de la communauté de ville de la fin du XVIIIe siècle, cette automatisation n’est pas probante car le logiciel ne distingue pas, par exemple, les lignes de la marge de celles du texte principal.
À la demande d’un des contributeurs, une tentative d’automatisation de la transcription des courriers de Jean-Louis Bagot a été réalisée, sans grand succès. La méthode consistait à envoyer à l’équipe de Transkribus un extrait du fonds avec sa transcription afin d’entraîner le logiciel. Nous pouvions ensuite avoir accès à une proposition de transcription réalisée par intelligence artificielle.
Les erreurs étaient si nombreuses que nous avons renoncé à l’utiliser, d’autant qu’il est beaucoup plus gratifiant pour nos contributeurs de transcrire un texte plutôt que de corriger une transcription erronée. Là encore, c’est le facteur humain qui détermine le choix.
Les balises TEI sont, quant à elles, à réaliser manuellement.
Les résultats de la transcription réalisée sur Transkribus ont ensuite été publiés sur le site des Archives municipales.
Aujourd’hui, la transcription collaborative se poursuit avec les délibérations de la communauté de ville, même si l’impact du COVID-19 et des confinements a été très négatif sur la communauté des contributeurs, conduisant à sa diminution drastique.
D’autres projets de crowdsourcing reprennent peu à peu vie après la crise épidémique, il s’agit d’actions d’indexation collaborative menées sur différents documents, grâce à la plateforme Zooniverse. Le premier de ces projets, l’indexation du fonds Anne Duportal est un cas spécifique intéressant à étudier. Ludovic Anne Duportal est un érudit local du XIXe siècle qui avait réalisé un précieux travail de relevés dans les registres paroissiaux, reconstituant les familles. Il avait ensuite classé les fiches dans un ordre alphabétique parfois un peu brouillon.
Ce fonds fut tout d’abord mis en ligne tel quel avec comme clé d’entrée la première lettre du nom de famille. Il apparaissait évident qu’une indexation plus précise de ce fonds riche d’informations mais d’un abord rébarbatif serait apprécié du public. Pourtant deux essais, l’un mené par le service des Archives, l’autre par le centre généalogique avait avorté, par manque de temps (et de fait, sans doute, de motivation) des deux côtés. L’utilisation de Zooniverse, plateforme gratuite et libre portée par l’université d’Oxford a permis aux personnes intéressées par les résultats de cette transcription d’unir leurs forces. Mis en place en janvier 2017, le fonds était indexé deux mois plus tard, 120 contributeurs ayant généré plus de 4000 clés d’indexation permettant de rendre le fonds plus accessible.
Qu’est-ce qui explique le succès de cette action, alors même qu’elle n’était pas portée par la collectivité (pas de plan de communication, aucun support technique, aucune ressource humaine ou financière supplémentaire) ? Outre l’utilisation de Zooniverse qui servit de catalyseur, le relais par le centre généalogique des Côtes d’Armor fut déterminant. Dans un article précédent, j’ai exploré l’idée que la massification de la généalogie, à partir des années 1970, et au moins jusqu’à ce que la crise du COVID-19 ne rebatte les cartes, pouvait être considérée comme un exemple vertueux et édifiant de la saisine des droits culturels par les citoyens.
Aujourd’hui, le résultat de ce travail est exploité par les chercheurs pour des travaux historiques comme l’édition des notices biographiques des maires de Saint-Brieuc, à paraître aux Presses universitaires de Rennes.
Un contre exemple intéressant est apporté par l’indexation du contrôle sanitaire des navires. Fortes du succès remporté par l’indexation du fonds Anne Duportal, les Archives avaient proposé aux contributeurs de choisir les fonds à traiter. Ceux ci avaient proposé les rapports de la commission sanitaire du port qui enregistre chaque navire y entrant, afin de prévenir les épidémies.
Ces archives permettent de découvrir l’activité marchande maritime de la ville. Malgré le volume faible du fonds (quelques centaines d’items) le travail avança peu entre 2018 et 2022. Il a fallu que de nouvelles forces vives, peu nombreuses mais efficaces, se manifestent après la crise sanitaire pour que le fonds soit indexé. Les motivations de ces nouveaux contributeurs sont moins généalogiques et davantage tournées vers l’envie d’un loisir occupationnel, ce qui pose la question du recrutement de ces nouveaux bénévoles, non fédérés dans une association constituée.
Les passeports intérieurs avaient été choisis par les contributeurs, en même temps que les archives du contrôle sanitaire des navires, comme fonds à indexer. Ces documents, créés au moment de la Révolution française et tombés en désuétude à la fin du XIXe siècle, étaient nécessaires pour sortir d’un canton.
Contrairement au contrôle sanitaire des navires, leur indexation connut un franc succès avec plus de 50 000 clés d’indexation générées par 270 personnes en trois ans et la publication des deux premières tranches chronologiques.
L’argument pour stimuler les contributeurs est d’ordre généalogique : non seulement ces documents citent les ancêtres voyageurs mais ils sont parmi les seuls à en faire une description physique.
Le traitement de ce fonds s’arrêta net au moment du premier confinement, alors même qu’il s’agissait de tâches dématérialisées que chacun pouvait faire de chez soi. Ce sont les nouveaux contributeurs qui, ayant terminé les contrôles sanitaires des navires, font aujourd’hui avancer cette indexation.
Changer de sujet, un objectif en soi ?
L’objectif premier des droits culturels n’est pas de produire du savoir de qualité mais de (re)donner aux citoyens leur rôle d’acteurs de leur culture. Si les généalogistes, se saisissant avant l’heure de leurs droits culturels, ont produit du savoir utilisé aujourd’hui par les universitaires, est-ce un hasard, un incident non reconductible ?
Dans son essai La cathédrale et le bazar, l’informaticien Eric S. Raymond vante les mérites d’une structuration horizontale de projet qu’il juge plus efficiente qu’une structuration pyramidale descendante.
Dans le domaine scientifique qui est le mien, à savoir l’histoire, je serais encline à me demander comment il est encore possible d’imaginer que, dans une démocratie, l’histoire ne soit pas écrite par et avec les citoyens, cette démarche collective nous sortant enfin tous de la protohistoire.
Pour autant le défi n’est pas mince : il ne s’agit ni plus ni moins que de retourner l’action publique. Dans un article intitulé « Le collaboratif, un changement de posture », j’ai plaidé sans succès pour la création d’un profil de poste de chargé de projet culturel participatif s’appuyant sur une forme de lâcher-prise managérial.
L’Agenda 21 de la culture avec sa boîte à outils semble également fort hésitant dans ses formulations, tant l’habitude est ancrée de se placer du point de vue du donneur d’ordre. Dans la partie « Le patrimoine, la diversité et la créativité », les actions préconisées se cherchent un sujet. Les premières actions citées mettent « le gouvernement local » en position d’acteur et les actions suivantes débutent par un peu précis « il existe » :
e. Il existe des politiques et des programmes qui construisent l’excellence à partir de la proximité avec les habitants et leurs initiatives […].
i. Il existe des politiques relatives à la protection du patrimoine culturel dans toutes ses dimensions matérielle et immatérielle.
j. Il existe des politiques et des programmes consacrés à la culture scientifique, en partenariat avec les organisations locales de la société civile, les acteurs privés, les institutions culturelles et les centres de formation. Ces programmes sont sensibles aux interactions entre la culture scientifique, artistique, l’histoire locale et la vie quotidienne.
Pour essayer d’avancer sur cette question d’une action culturelle publique qui ne serait plus uniquement active mais au moins en partie réceptive, en partant de mon expérience, je dégagerais deux pistes. La première concerne l’aspect spatio-temporel de ces projets : un projet participatif prend plus de temps qu’un projet autoritaire et fonctionne mieux, semble-t-il, dans des petits groupes. Un temps long, qui n’est pas forcément celui du politique, pour un espace localisé me semblent être de bonnes conditions pour la réussite d’un tel projet. Ensuite, la prise en compte d’un public est souvent le reflet du fonctionnement interne des structures qui portent le projet : comment peut-on imaginer accorder de l’importance aux paroles et aux actes des citoyens si on ne le fait pas pour ses propres collègues ? La question des droits culturels pourrait profitablement être insufflée dans les techniques de management moderne.
Conclusion : intégrer la citoyenneté invite au décloisonnement
Si je partage en grande partie la vision, somme toute assez pessimiste, de Philippe Teillet quant à la capacité des droits culturels à modifier réellement la structure de l’action publique culturelle, il me semble que les droits culturels, en faisant appel aux citoyens dans leurs diversités d’expression, invitent aux décloisonnements. Les réussites observées dans le domaine des sciences participatives pourraient être sources d’inspiration : à des porteurs de projets artistiques qui prétendent qu’on ne peut pas intégrer des amateurs à des spectacles artistiques car seuls les professionnels sont en mesure d’assurer l’excellence, on pourrait poser la question rhétorique : est-ce que la science, elle, ne vise pas l’excellence ? Au-delà de cet exemple, il semble que la dichotomie apparente entre objectif d’efficacité et saisine de ses droits culturels par le citoyen (et par là, sa place dans la Cité culturelle) puisse se transformer en cercle vertueux : dans nos expérimentations, la fiabilité et l’efficacité des données produites étaient porteuses de sens pour les contributeurs ; l’implication des citoyens dans une réflexion globale sur l’histoire et le patrimoine collectifs, dont la généalogie est la partie émergée, permet à la science historique de progresser grâce à leurs contributions.
Et pourquoi ce duo gagnant ne s’enrichirait-il pas de l’exploration d’autres champs : l’empowerment, l’action sociale, l’écologie, etc. Ne pourrait-on pas, par exemple, convoquer la pensée du jardinier et paysagiste Gilles Clément, inventeur de la notion de « Tiers paysage », « [f]ragment indécidé du jardin planétaire, […] constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse ». En mettant en valeur la qualité écologique des lisières, des bordures, de l’entre-deux, il substitue la négociation à la domination. N’est ce pas un écho de la proposition de l’Agenda 21 de la culture qui souhaite que les droits culturels œuvrent à remplacer « une lecture figée […] de l’identité prédéfinie […] condition préalable pour réguler notre existence » par une identité « facteur fondamental d’un projet collectif et « processus négociable » ?
Contenus additionnels
Site des Archives de Saint Brieuc
Observatoire : Passports
La plateforme Passports est finalisée à l’indexation des passeports intérieurs delivrés par la commune de Saint-Brieuc entre 1850 et 1923. Les passeports intérieurs étaient nécessaires pour sortir d’un canton. À partir de la fin du XIXe siècle, suite à l’essor du chemin de fer, ils tombèrent en désuétude sans avoir été officiellement supprimés. Outre les informations sur les migrations et mouvements de populations, ils apportent de précieux renseignements aux généalogistes concernant leurs ancêtres, notamment leur description physique, ancêtre de notre photo d’identité. Leur indexation, par tranches de 10 ans, permettra de retrouver ensuite, sur la plateforme, les documents numérisés en interrogeant par nom de personne, lieu de naissance, date de naissance, profession, domicile et destination.
Notes prises lors du forum
Notes 3. Le défi de l’open content pour les acteurs culturels
Xavier Cailleau (chargé de mission partenariats, Wikimédia France)
Xavier Cailleau commence par expliquer que l’usage du terme « open » se généralise, mais que sa définition n’est pas la même partout. Par exemple, l’open data n’intègre pas les images, qui font pourtant partie des pratiques culturelles. Il a donc fallu inventer l’open content, c’est-à-dire la diffusion des images et des œuvres en bonne définition et en licence libre y compris pour des usages commerciaux.
Xavier Cailleau présente ensuite le contexte juridique et les nombreuses contradictions législatives. Par exemple, alors que la loi Valter (2015) puis Lemaire (2016) actent l’ouverture par défaut des données publiques, le Plan national pour la numérisation du patrimoine culturel s’aligne sur l’exception et la redevance culturelles avec la possibilité de vendre la numérisation des œuvres.
Pourtant, l’open content comporte de nombreux avantages pour les institutions publiques. Il s’agit de rester une référence de qualité, visible et pertinente face aux GAFAM, renforcer des liens avec un public dont les pratiques et attentes évoluent, sans compter qu’une revendication de droits d’auteur freine la créativité, l’innovation et la production de connaissances autour des œuvres d’art du domaine public. Malgré ces avantages, la généralisation de l’open content comporte des contraintes : comment faire alors que la législation sur les droits d’auteur manque d’harmonisation à l’échelle internationale ou encore quel statut donner aux photos des œuvres d’art en trois dimensions. L’intervenant liste ensuite de nombreux facteurs qui peuvent expliquer le retard français : barrières psychologiques face à la perte de contrôle sur le contenu, absence d’un positionnement politique fort ou encore les coûts liés aux moyens humains nécessaires à mettre en œuvre en même temps qu’un changement de modèle économique. Enfin, Xavier Cailleau expose quelques exemples d’institutions ayant adopté l’open content à l’international (comme le Rijksmuseum ou encore le Smitshonian institution avec plus de 2,8 millions d’images ouvertes) et en France (comme les archives des Yvelines, les archives nationales en partenariat avec Wikimédia France ou encore Paris Musées, dont 150 000 œuvres ont été mises à disposition et ont été téléchargées plusieurs millions de fois depuis fin 2020). Xavier Cailleau termine par exposer deux projets qui seront lancés en 2023 : l’Observatoire de l’open content et le Label « Culture libre ! ».
Les questions portent sur le rôle de Wikimédia France qui consiste de plus en plus à faire du plaidoyer, à accompagner les institutions à contribuer aux projets Wikimédia et à leur faire intégrer ces derniers dans leurs stratégies de diffusion. Pour autant, Xavier Cailleau explique que certains projets sont difficiles à mener, par exemple avec la BNF qui tire encore beaucoup de revenus des contenus qu’elle a numérisés.
Notes 12. Passports, Archives de Saint-Brieuc
Yolaine Coutentin
L’intervenante est archiviste, historienne de formation, chargée de l’animation du patrimoine à Saint-Brieuc.
Elle montre à la fois le site des archives de Saint-Brieuc ainsi que le projet Passports avant d’en expliciter l’histoire. En 2001, le service des archives est rouvert, et un club de paléographie se développe. Lors de la création du site des archives, il se lance des réflexions sur les usages qui pourraient être offerts.
L’intervenante découvre la plateforme d’indexation Zooniverse lors d’un stage à l’INA (avec Lisa Chupin). Elle met en place la plateforme et, en deux mois, un fonds d’archives est transcrit par 120 contributeurs, et mis en ligne. Elle échange avec ses contributeurs pour décider des fonds à traiter ensuite. L’un des fonds choisis, sur l’indexation des passeports, a un grand succès, tandis qu’un second, sur le contrôle sanitaire des navires, ne fonctionne pas. Après enquête, il s’avère que les passeports intéressent beaucoup les généalogistes, qui sont très présents parmi les contributeurs.
Pour un projet suivant, Wikisource est envisagé, mais abandonné devant la difficulté technique. L’outil Transkribus est essayé avec un certain succès. Pendant le confinement, il restait des passeports à transcrire… et les contributeurs n’ont pas répondu présents, ce qui interroge les modalités d’animation de la communauté. Après le confinement, les réunions avec le public sont à nouveau possibles.
Aujourd’hui, il existe des contributrices très engagées, qui ont la particularité d’avoir des soucis de santé et qui cherchent une activité qui leur soit facilement accessible pour se rendre utiles. Mais le projet recherche de nouveaux contributeurs, notamment à travers France Bénévolat.
L’intervenante conclut en exposant que ce sont les citoyens qui doivent se saisir des moyens de faire culture (cf. la loi NOTRe).
Notes 22. Abandonware magazines
Frédéric Letellier (ingénieur robotique au CNRS)
L’intervenant relate l’histoire du projet. Il commence par rappeler qu’en 1999, ce sont les débuts d’internet et qu’il y a peu de contenus. Il souhaite préserver le jeu vidéo comme un patrimoine. Or les anciens jeux étaient introuvables. Il obtient l’autorisation d’Angkor de faire un site dédié à leurs anciens jeux : angkor.net. Petit à petit, une communauté s’est manifestée autour des jeux rétro. Cela l’a conduit à la création du site Abandonware France, puis Abandonware magazines avec pour objectif de numériser les anciennes revues d’informatique et les proposer en téléchargement.
Le problème étant les droits d’auteur sur les revues. Le projet Abandonware souhaite verser des contenus dans le cadre légal, mais il est très souvent impossible de récupérer les droits. Il opte pour la mise en place d’une charte éthique pour laisser tomber les droits d’auteurs, avec un affichage clair de l’éditeur du site pour qu’il puisse être contacté en cas de problème.
Ainsi, la charte éthique a été trouvée comme solution alternative à une gestion rigoureuse des droits. Cette option n’est pas allée sans difficulté. Il y avait, sur Wikipédia, 20K références vers Abandonware, mais, parce qu’il n’y a pas de gestion de droit, Wikipédia a déréférencé l’ensemble des références vers le site Abandonware !