Contribution numérique : cultures et savoirs

Le défi des labs en sciences humaines et sociales

Le défi des labs en sciences humaines et sociales

Retour sur deux années d’expérience du FabPart Lab entre ingénierie et recherche

Nicolas Sauret

Marta Severo

Nicolas Sauret, Marta Severo, « Le défi des labs en sciences humaines et sociales », dans Marta Severo, Roch Delannay (dir.), Contribution numérique : cultures et savoirs (édition augmentée), Les Ateliers de [sens public], Montréal, 2024, isbn : 978-2-924925-29-4, http://ateliers.sens-public.org/contribution-numerique/chapitre3.html.
version 0, 15/06/2024
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)

Les sciences participatives désignent les travaux de recherche adoptant sciemment une démarche où des participant·e·s extérieur·e·s au monde académique viennent contribuer et collaborer avec les chercheur·e·s. De nombreuses recherches sont ainsi menées toutes disciplines confondues en intégrant dans les processus de collecte, d’analyse et d’interprétation des citoyen·ne·s, des amateurs, des élèves, mettant à profit les capacités cognitives individuelles (décrypter un manuscrit ancien, catégoriser un astre), l’intelligence collective du groupe (faire émerger de nouvelles catégories), ou plus simplement la force du nombre (observer des espèces sauvages). Certains de ces projets adoptent une démarche plus inclusive encore d’échange et de partage de connaissances en impliquant des communautés de savoirs constituées hors du monde académique dans toutes les phases de la recherche.

Le projet FabPart Lab a été initié au sein du Labex Les passés dans le présent pour soutenir de telles approches participatives dans les études patrimoniales et mémorielles pour lesquelles les dynamiques contributives et collaboratives présentent un intérêt particulier.

En effet, ces dynamiques sont déjà à l’œuvre depuis plus d’une décennie dans les institutions culturelles qui ont ainsi exploré le rôle que pouvait jouer le numérique dans leurs activités de médiation et valorisation. En 2012, le rapport Chevrefils-Desbiolles décrivait « les mutations profondes que connaissent, avec l’essor de la culture numérique et de l’internet, les conditions d’accès à la culture, mais aussi les pratiques artistiques et culturelles notamment des amateurs ». De même, le ministère de la Culture a défini la « recherche culturelle participative » comme priorité dans sa stratégie de recherche (2017-2021) et a lancé en 2019 le réseau Particip-Arc pour féderer les acteurs culturels intéressés aux recherches et sciences participatives.

En lien avec ces mouvements sociétaux, les questions de la médiation et de la valorisation et plus récemment celles de la participation sont devenues centrales dans les études académiques sur les patrimoines et les mémoires. Des chercheur·e·s de différentes disciplines (archéologie, anthropologie, philosophie, etc.) ont attiré l’attention sur de nouveaux enjeux liés à leurs terrains d’études : la création d’archives citoyennes ; le développement de plateformes contributives (crowdsourcing, folksonomies, etc.) ; l’expérimentation d’outils de médiation numérique (réalité virtuelle, réalité augmentée, réseaux sociaux, etc.) ; la valorisation et l’ouverture de jeux des données culturelles, etc.

Cependant, les laboratoires ont souvent du mal à faire face à ces enjeux car leur gestion nécessite d’adopter une approche interdisciplinaire qui prenne également en compte les aspects sociaux, politiques, communicationnels, technologiques, juridiques et éthiques soulevés par la mise en place de projets de participation, de valorisation et de médiation numérique des mémoires et patrimoines. Par ailleurs, quand d’excellents projets sont réalisés, leur valorisation et pérennisation s’avèrent également difficiles au-delà des financements alloués par les organismes subventionnaires.

C’est en partie pour répondre à ce constat que le projet FabPart Lab, auquel est dédié ce texte, a été imaginé. Comment accompagner les projets dans cette recherche participative ? Comment penser la valorisation numérique dès le début d’un projet ? Quels besoins et quelles difficultés a dû adresser le FabPart Lab ? Et finalement comment faire lab dans un écosystème universitaire encore très balisé ?

Ce texte revient sur ces deux années d’expérience du FabPart Lab, à travers les actions menées et les défis que nous avons tenté de relever. À partir de ce retour de terrain, il interroge plus globalement la nouvelle manière de faire recherche dans et avec les labs et il explore les défis scientifiques et techniques générés par les interactions inédites entre recherche et accompagnement à la recherche qui animent ces nouveaux espaces d’incubation.

Le FabPart Lab : une mission d’incubation de la recherche

Le projet FabPart Lab a eu pour vocation première de créer, au sein du Labex Les passés dans le présent, un lieu physique et virtuel, un lab, d’échange et d’expérimentation autour de la participation, de la médiation et de la valorisation numérique des mémoires et des patrimoines. Il s’agissait, d’un côté, d’élargir le potentiel d’innovation du Labex dans ce secteur par le partage de pratiques et par l’incubation de nouveaux projets, et de l’autre, de créer une réflexion collective autour des enjeux scientifiques liés à ces nouvelles pratiques.

Plusieurs actions et initiatives ont ainsi été conçues et réalisées pour répondre à ces objectifs. Afin d’identifier précisement les besoins des chercheur·e·s, une série d’entretiens ont d’abord été menés avec les porteurs de projets soutenus par le Labex et susceptibles de déployer une dimension contributive et/ou participative. Ces entretiens ont fait ressortir plusieurs axes d’intervention récurrents :

  1. l’accompagnement dans la conception de protocoles participatifs ou contributifs ;
  2. l’accompagnement dans la modélisation ou la mise en données des objets et des problématiques de recherche ;
  3. un soutien technique et méthodologique dans le choix et la mise en œuvre d’outils numériques de modélisation, structuration et valorisation des données de la recherche ;
  4. un soutien technique et méthodologique dans la gestion collaborative des projets et des données.

Sans les détailler ici, des axes spécifiques à chaque projet ont par ailleurs été identifiés et parfois travaillés avec les équipes de projet.

Une fois ce prisme établi, le FabPart Lab a pu se structurer autour d’initiatives communes et d’actions spécifiques pour répondre aux besoins exprimés et pour fédérer les acteur·rice·s au sein d’un réseau de chercheur·e·s et praticien·ne·s au niveau local au sein de l’Université Paris Nanterre.

Un premier axe de travail a consisté dans l’organisation d’une série d’ateliers théoriques, pratiques et thématiques qui ont permis de générer des ressources et des connaissances sur un spectre diversifié d’expériences et de méthodologies : retours d’expérience de projets participatifs, méthodologie de l’entretien et de l’analyse chrono-thématique, présentation et prise en main de la boîte à outils du projet ModOAPMené par Julien Schuh, le projet ModOAP (Modèles et Outils d’Apprentissage Profond) a mis en œuvre des outils « clé en main » sous forme de notebooks implémentant des méthodes de machine et deep learning dédiés aux travaux de recherche sur les archives et les contenus patrimoniaux.↩︎, présentation des outils et corpus de l’INAthèque, méthode et outil de documentation de terrains de recherche, etc.

Les séances en visioconférence, puis en hybride ont donné lieu à des enregistrements et à une prise de notes collaborative. Ces nouvelles ressources ont fait l’objet d’un dépôt institutionnel sur l’entrepôt de données NakalaUne collection publique Nakala rassemble ces ressources.↩︎, et rééditorialisées sur le site du FabPart Lab dans une section Ressources dédiéesVoir sur le site du FabPart Lab.↩︎. L’objectif de ces actions était de créer une base de connaissances partagées autour des enjeux du projet.

Le FabPart Lab a par ailleurs développé une offre de soutien aux projets de recherche, selon différentes modalités de suivi et d’assistance : permanence, sprint, collaboration, accompagnement. Ces actions reflètent une gradation dans l’investissement du FabPart Lab, de la réponse à une simple question technique ou méthodologique (permanence), jusqu’à la mise en œuvre d’une série d’ateliers dédiés à un projet (accompagnement), en passant par l’organisation d’une session de co-conception pour initier une dynamique collaborative au sein d’une équipe (collaboration).

Figure 1. Modalités d’accompagnements des projets

Par ce biais, le projet a accompagné plusieurs projets du Labex dans la mise en données de leurs objets de recherche et dans certaines démarches participatives ou collaboratives. C’est par exemple le cas du projet TAPLA autour des terrains d’aventure pour lequel le FabPart Lab est intervenu afin d’accompagner les chercheur·e·s dans l’identification d’une solution cartographique en ligne avec des objectifs de valorisation et d’ouverture numériques. De manière similaire, le FabPart Lab a assisté le projet FESMAN, dédié au Festival mondial des arts nègres, Dakar 1966, pour identifier une solution d’organisation en ligne de ressources ouvertes et pérennes, mais aussi adaptées à la littératie numérique des membres du projet.

Enfin, sur le plan scientifique, le projet a initié une journée d’étude sur la thématique de l’écriture collective des objets patrimoniaux et mémoriels, questionnant les processus d’institutionnalisation et de désinstitutionnalisation, les modes de gouvernance adoptés par ces communautés d’écriture, et enfin la littératie numérique qui se dessine à partir de ces pratiques d’écritures, témoignant d’un régime de savoir avec lequel les institutions doivent désormais compter. Cette journée a abouti à la publication d’un ouvrage collectif composé de quatorze contributions couvrant différents aspects et domaines de la production mémorielle et patrimonialeL’ouvrage Communautés et pratiques d’écritures des patrimoines et des mémoires, sous la direction de Nicolas Sauret et de Marta Severo, est paru en janvier 2024 aux Presses universitaires de Paris Nanterre, dans la collection « Intelligences numériques ».↩︎. Adoptant une approche alternative de l’édition scientifique, nous avons mis en place pour cet ouvrage un protocole collectif d’écriture et de relecture par les pairs. Les contributeurs et contributrices se sont ainsi constitué·e·s en comité scientifique menant des lectures et annotations croisées grâce à l’édition ouverte et continue des textes édités et publiés sur un espace de travail. Cette expérience collaborative se veut une preuve de concept des méthodes alternatives que le FabPart Lab avait vocation à développer au sein des équipes de recherche. Elle illustre bien finalement le type de protocoles qui peuvent être introduits dans les projets pour « faire science autrement ».

Les défis d’un lab : problématiser les données entre recherche et ingénierie

L’expérience du FabPart Lab permet de réflechir plus largement aux défis recontrés par les labs, c’est-à-dire des structures et entités créées récemment au sein des universités, des institutions de recherche ou des institutions culturelles pour tenter de répondre aux besoins croissants des chercheur·e·s dans les différentes disciplines en sciences humaines et sociales en termes de gestion et de valorisation des données de la recherche. Ces initiatives (DH lab, média lab, etc.) accompagnent les équipes de recherche dans leurs projets pour s’approprier les méthodologies numériques de traitement, d’analyse et d’éditorialisation de ces données. Elles se confrontent dans cette tâche à plusieurs difficultés que nous avons nous-mêmes rencontrées dans le cadre du FabPart Lab.

La vision poursuivie par le FabPart Lab doit être remise dans le contexte et dans la nature même du FabPart Lab, à savoir celle d’un projet et non d’une structure, de surcroît aux ressources et à la temporalité très limitées. Or une telle initiative ne peut porter ses fruits qu’avec un fort soutien institutionnel, mobilisant des ressources plus pérennes et s’inscrivant dans la durée. L’expérience du FabPart Lab a ainsi réussi à générer une certaine dynamique auprès d’un cercle restreint pour l’accompagnement et d’un collectif distendu pour les ateliers théoriques et pratiques. L’ingrédient manquant pour consolider et créer du lien relève sans doute d’un ancrage dans un lieu physique dédié, bien identifié et surtout ouvert à la communauté universitaire.

Concernant l’accompagnement, le projet FabPart Lab avait pour objectif la facilitation de dynamiques participatives et collaboratives au sein des projets du Labex. Or, si plusieurs projets du Labex ont effectivement été accompagnés, soit ponctuellement, soit dans la durée, le projet n’a pas su insuffler suffisamment la dynamique espérée en termes de méthodes collaboratives et participatives au sein des projets. Les projets se sont montrés en premier lieu soucieux de valoriser leurs objets de recherche dans l’espace numérique. Or nous avons pu observer le manque de littératie numérique, tant sur la modélisation que sur les méthodes de traitement des données et leur éditorialisation. Les accompagnements du Lab se sont ainsi positionnés au mieux pour répondre plus spécifiquement à la mise en données des corpus, à la modélisation sémantique des données et à la publication en ligne des bases de données implémentées.

Ce retour d’expérience pose également la question du rôle et du statut de l’ingénierie de recherche dans les projets. Les échanges que le FabPart Lab a pu avoir avec certains projets révèlent en effet ce paradoxe pour les chercheur·e·s de tenir la chose technique à distance, reléguée à son statut de moyen, alors même que leurs travaux de recherche en dépendent entièrement. De fait, les différentes étapes de la mise en données des objets de recherche montrent bien à quel point la modélisation et son implémentation sont des questions éminemment scientifiques, voire disciplinaires. À l’heure où les connaissances (et les données de la recherche) sont produites et circulent dans l’espace numérique, les chercheur·e·s ne devraient plus déléguer les aspects « techniques » de leurs travaux, mais bien les incorporer comme des compétences disciplinaires afin de saisir les enjeux scientifiques de la matérialité technique et méthodologique, et de maîtriser ainsi les résultats de leur travaux.

Par ailleurs, ce constat met en évidence la tension entre faire et transmettre, dessinant un gradient dans lequel chaque lab doit se positionner selon sa mission et ses ressources. Entre l’approche faire à la place et l’approche autonomiser, il est possible de déployer une diversité progressive d’actions : faire avec, faire et documenter, orienter, conseiller, sensibiliser, former, etc. Cela suppose d’intégrer ou de faire appel à des compétences spécifiques en pédagogie et en documentation, qui ne sont pas nécessairement celles des ingénieur·e·s. De surcroît, le verrou le plus épineux sur le plan méthodologique réside dans l’articulation entre l’objet scientifique et son implémentation technique. Entre l’ingénieur·e et le ou la chercheur·e, une communication particulière doit se mettre en place, relevant de la pédagogie mutuelle pour les méthodes et les problématiques sous-jacentes à chaque pratique. Selon les connaissances de l’un·e ou l’autre, le chemin à parcourir sera plus ou moins long, plus ou moins équidistant. Le FabPart Lab a rapidement été confronté à cette tension pour laquelle nous avons adopté une stratégie diversifiée de sensibilisation et de formation. Pour les projets accompagnés, nous nous sommes résolus à faire avec, avec des résultats mitigés en terme d’autonomisation.

Outre l’aspect technique des outils, l’autonomie se joue en particulier sur la mise en données des objets scientifiques. Les équipes accompagnées peinent à problématiser la mise en données de leurs objets, c’est-à-dire à traduire et à transposer leurs problématiques scientifiques dans le processus de modélisation et d’implémentation de leurs données. Pourquoi caractérise-t-on une donnée ? Comment cette donnée s’articule-t-elle avec les autres ? Qu’est-ce qu’elle vient questionner sur le plan scientifique ? Certain·e·s chercheur·e·s considèrent la donnée de recherche selon sa dimension technique et matérielle, isolée, sans lien avec l’objet de recherche. Nativement numérique, ou encodée dans un format numérique, la donnée devient pour eux·elles inconcevable. Elle échappe à leur maîtrise, et le lien à la problématique de recherche est coupé. Problématiser la donnée permet alors de ramener ce travail de mise en données à sa dimension scientifique et non simplement technique.

Il nous semble aujourd’hui essentiel de mettre cette autonomisation des chercheur·e·s dans la gestion scientifique de leurs données au cœur de la mission des labs. L’autonomie nécessite bien entendu des compétences spécifiques liées aux modèles et aux outils qui les implémentent. Mais elle réside aussi dans une culture numérique plus générale qui n’existe pas encore dans certaines disciplines, peut-être encore trop confiantes de pouvoir se reposer sur le corps ingénieur pourtant structurellement intérimaire dans les projets ou dans les équipes.

Pour les labs, la complexité d’une telle mission réside dans la grande disparité de littératie et de compétences numériques. Les formations universitaires devraient nécessairement intégrer un socle méthodologique et technique plus solide pour les disciplines qui aujourd’hui aspirent au numérique, pour que les chercheur·e·s ne soient pas dépossédé·e·s de leur premier matériau de recherche.

Conclusion

Le projet FabPart Lab s’est arrêté en août 2022 après deux années d’activité. Au sein de l’Université Paris Nanterre, la cellule AgoraNum a pris le relais avec une structure plus pérenne et une mission élargie à la pédagogie et à la recherche.

Avant de conclure le projet, nous avons souhaité rouvrir des possibles en rassemblant, en mai 2022 et pour la première fois, plusieurs labs actifs dans le champs des humanités numériques. Sous forme d’atelier de travail dans le cadre du colloque Humanistica 2022, la rencontre « Comment accompagner les humanités numériques ? Les défis des labs » a été l’occasion d’échanger sur les difficultés opérationnelles et institutionnelles des labs, des unités de services et autre cellules de soutien à la recherche. Plusieurs axes de discussion ont été identifiés en amont de la rencontre, tels que la mutualisation des ressources, l’espace et la temporalité de l’accompagnement, l’articulation aux infrastructures nationales et locales de recherche, l’ancrage institutionnel ou encore la littératie numérique. Il s’agissait d’initier en particulier un réseau d’acteur·rice·s et de structures émergentes partageant la même problématique de consolider leur présence au sein de leur institution de tutelle et auprès des disciplines encore peu outillées méthodologiquement face au numérique.

Lors de cette rencontre, les acteurs et actrices de chaque lab représenté ont exprimé des difficultés convergentes avec celles que nous avons observé. L’un des points soulevé vient illustrer la question de la littératie numérique. Benjamin Ooghe-Tabanou (médialab de Sciences Po) note cet écart entre la demande initiale des équipes venant chercher un support, et les réalisations effectives permises par le lab. Exemple d’une situation régulièrement vécue et dont nous avons fait également l’expérience au sein du FabPart Lab : une équipe souhaite réaliser « une visualisation », mais se trouve finalement accompagnée pour procéder à une collecte et à une mise en données. Une telle divergence illustre le manque de compréhension de certaines équipes dans la chaîne méthodologique de traitement des données de la recherche. Valérie Julliard (CERES - Sorbonne Université) suggère à ce propos que la découverte et l’expérimentation de nouvelles méthodologies présente une valeur heuristique très précieuse lorsque les chercheur·e·s s’en emparent. La confrontation à la collecte, à l’encodage ou au traitement de données numériques fait émerger des problématiques de recherche inédites pour les chercheur·e·s. Plusieurs participant·e·s ont par ailleurs fait remonter le caractère essentiel de la traduction, au cœur de la relation entre corps de métiers. Nous évoquions précédemment la nécessité de combler l’écart entre le fait scientifique et le fait technique. Or la figure du designer se révèle comme un passeur idéal, dont les compétences communicationelles jouent un rôle facilitateur dans le processus d’accompagnement.

Sans pouvoir transcrire ici toutes les thématiques abordées, notons que les participant·e·s ont conclu sur la nécessité pour les labs de faire réseau et de mutualiser certaines ressources afin de mieux appréhender la diversité et la complexité des problématiques soulevées par les chercheur·e·s. Les problématiques soulevées lors de cette journée constituent un cadre de réflexion important pour structurer les actions à mener au sein des labs, et pour mieux assurer une position institutionnelle à la fois essentielle mais pas encore acquise.

Brian Chauvel (PUDPlateforme universitaire de données.↩︎ Paris Nanterre) notait que de tels réseaux métiers existent déjà sur la thématique des données de la recherche ou sur les outils et les méthodes numériques. Pour autant, sur le modèle des humanités numériques, les labs ont vocation à mieux articuler la question scientifique et la question technique. À la fois incubateurs, passeurs et indicateurs de l’innovation scientifique, les labs élargissent aujourd’hui cette dynamique initiée par le champ des humanités numériques vers les communautés de recherche en sciences humaines et sociales (SHS) encore balbutiantes sur les problématiques de littératie numérique et d’ouverture de la recherche. Les labs sont ainsi l’opportunité de structurer et de pérenniser le sillon tracé par la communauté des humanités numériques, à condition de poursuivre cet esprit de partage qui la caractérise.

Contenus additionnels

Site du FabPart Lab

Accéder au site du FabPart Lab.

Crédits : Labex Les passés dans le présent

Source (archive)

Notes prises lors du forum

Notes 19. Pratiques de la documentation dans les fab labs

David Forgeron (chargé de projet TIC, Carrefour numérique)

David Forgeron expose l’exemple du fab lab de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Il commence par rappeler que les outils sont moins importants que l’appropriation des utilisateurs pour leur problématique personnelle. Il rappelle également qu’il faut assurer la reproductibilité des approches dans d’autres fab labs. Pour ce faire, on capitalise sur des plateformes existantes, on aide à la documentation autour d’un projet ou d’une pratique spécifique. l’intervenant évoque ensuite la question de la propriété intellectuelle et de l’importance des licences libres dans ce processus pour s’assurer d’une possibilité de réutilisation.

Ensuite, David Forgeron décrit le fab lab du Carrefour numérique. C’est un espace de fabrication partagé avec des outils mis à disposition qui permet un prototypage rapide. L’enjeu, c’est la manière dont les utilisateurs vont s’approprier les outils mis à disposition. Il existe une charte qui régit tout ça, notamment la notion de reproductibilité de ce qui est conçu. Dans une logique de réseau : ce qui est produit doit pouvoir être reproduit dans un autre fab lab. Il y a non seulement un partage des pratiques, mais également d’un type d’outil particulier.

La documentation ici est centrale, elle permet d’expliquer ce qu’on a fait et comment on l’a fait. Le wiki favorise ce processus. Il permet de documenter à la volée, mais aussi de faire en sorte que ces documentations puissent être enrichies par d’autres contributeurs et d’avoir une traçabilité.

L’intervenant explique plus en détail le cas du Carrefour numérique qui utilise DocuWiki, une plateforme libre et simple à déployer, qui a la particularité de ne pas utiliser de base de données, bien que l’interface nécessite une formation particulière. L’introduction de gabarits de documentation facilite le travail des contributeurs. Par ailleurs, l’utilisation des métadonnées permet d’instruire les utilisations futures.

D’un point de vue juridique, ce dispositif s’appuie sur une exception à la propriété intellectuelle grâce aux licences libres. C’est un point essentiel pour assurer la réutilisation. Au Carrefour numérique, la licence par défaut est la CC-BY-SA. Cette licence est très granulaire, ce qui permet aux auteurs de choisir ce qui est réutilisable par les autres.

L’utilisation effective de cette licence au sein du fab lab n’est pas obligatoire, mais c’est le cadre de base, tout dépend ensuite du type de contribution et de la nature de la donnée (code, image, texte, image, vidéo, etc.). Le fab lab propose des outils de prototypage, de documentation, de diffusion, qui évoluent au fur et à mesure du temps, ils ne sont pas figés.

La question de la capitalisation sur les données doit respecter un cadre éthique et légal pour produire des contenus pour que la valorisation soit redirigée vers le bien commun et respecter un maximum la propriété intellectuelle.

Ici, Alessia Smaniotto demande à l’intervenant : qui porte la responsabilité sur la propriété intellectuelle et comment celle-ci est transmise ? David Forgeron répond que le fab lab est impulsé par la Cité des Sciences, donc Universcience. Le carrefour avait déjà des pratiques autour des logiciels libres et open source. Il y a un historique avec ces communautés. Le service juridique a donc travaillé sur les meilleures modalités. Les licences libres sont considérées par ce service comme un risque, car elles sont révisables. Mais pour l’intervenant, la question de la documentation et du repartage des données est un préalable à l’utilisation du fab lab. Il s’agit de contribuer à une communauté. Ce qui, de notre côté, suppose un travail de pédagogie à faire dès que les usagers investissent le lieu. Donc on propose une licence Creative Commons par défaut, mais on propose également l’utilisation d’autres licences avec, a minima, la possibilité de réutilisation dans un cadre personnel.

L’intervenant conclut que les fab labs ont récupéré les aspects de la culture open et la culture du hacking, et continuent à capitaliser sur ces mouvements qui ont la vocation à rendre les productions pour le bien commun.

Notes 20. Plateforme Épi-revel

Lambert Vincent et Ghislain Chave (Université Côte d’Azur)

La plateforme Épi-revel est une pépinière de revues. C’est une plateforme d’éditorialisation au-dessus d’un dépôt d’archives ouvertes (comme HAL, Zenodo, arXiv). Ce n’est donc qu’une couche éditoriale par-dessus les contenus. L’objectif est de permettre aux chercheurs de toucher une large gamme d’objets éditoriaux, ce qui est une approche unique en France, et qui a reçu un fond de la Mission sur la science ouverte.

Ensuite, les intervenants expliquent que les contenus artistiques dans les articles scientifiques posent des questions particulières. Que fait-on de ces contenus qui ne sont pas accueillis par des plateformes d’archives ouvertes, car ils ne revêtent pas d’aspect scientifique propre ? Dans le cadre de la recherche-création, les artistes sont parties prenantes du processus scientifique. Comment valoriser leur apport, via quelle plateforme, et comment assurer leur pérennité ? Quelles sont les plateformes susceptibles d’accueillir de tels contenus ?

Par exemple, la numérisation des contenus de la revue Alliage, pose depuis les années 1980 des questions particulières : qu’advient-il des contributions par des auteurs décédés, quid de la question des ayants droit ? La plateforme encourage les chercheurs et les artistes à trouver des moyens de valorisation alternatifs. Des controverses autour de l’utilisation de fonds scientifiques pour la production de contenus artistiques dans le cadre de la recherche-création sont apparues. Les intervenants se demandent : serait-il pertinent de créer une plateforme dédiée à ces objets particuliers ?

En conclusion, les intervenants rappellent que dans leur travail d’accompagnement, ils sensibilisent aux questions de transparence et de propriété intellectuelle. Mais assez vite le contenu devient très lourd. Pour autant, même s’il y a peu de réclamations, réfléchir au cadre légal est important. Il faut éviter le côté formulaire et fiches juridiques à signer. Il faut donc aborder la chose différemment. Le matériel juridique est donc apporté au dernier moment plutôt qu’en introduction, principalement en répondant aux questions. Les fiches arrivent comme des réponses.

Notes 21. Plateformes d’écriture scientifique collaborative

Nicolas Sauret (maitre de conférences, Université Paris 8)

Nicolas Sauret commence sa présentation en expliquant qu’il préfère parler de dispositif, même de protocole, plutôt que d’outil. Il décrit ensuite l’outil Stylo. C’est un outil à destination des chercheurs, étudiants, éditeurs, qui donne la possibilité au chercheur de documenter, d’annoter les contenus. L’idée est née dans un laboratoire de littérature à Montréal, dans une Chaire d’écriture numérique. Marcello Vitali Rosati expliquait alors que « les chercheurs ne savent pas pratiquer l’écriture numérique ». Il est dédié aux SHS et est inspiré des pratiques existantes. Stylo a une volonté de transparence sur la machinerie de l’outil, on donne à voir la matérialité du texte scientifique et on permet une compréhension plus profonde, qui n’est pas limitée à l’interface. Le pari est celui de la « littératie numérique » qui prend une importance particulière dans l’époque moderne. La conception passe par l’établissement d’un protocole et d’une chaîne de traitement plutôt qu’un simple outil. Stylo est maintenant hébergé par la TGIR Huma-Num.

La plateforme n’est pas fondamentalement une plateforme contributive créatrice de données : son objectif est de développer des compétences et des savoir-faire. Pour ce faire, Nicolas Sauret s’inspire de la pratique documentaire des laboratoires, des fab labs, des communautés littéraires (émancipation de la structure de publication) : « c’est ce qu’on essaie d’impulser dans le monde de la recherche. On accorde une importance particulière à la notion de design ouvert de l’outil pour permettre sa compréhension et sa réutilisation ».

Par rapport à d’autres éditeurs de texte collaboratifs, Stylo cherche à produire du format natif web. L’idée est d’avoir un format simple pour permettre au chercheur néophyte vis-à-vis des méthodes numériques de monter progressivement en compétence. Nicolas Sauret explique qu’on cherche plutôt à sensibiliser le bas de la pyramide, les étudiants, qui ont plus à gagner que les instances déjà établies et qui ont une inertie forte. Or les réactions sont positives à l'utilisation une fois que la question du coût à l’entrée est dépassée. Or ce coût n’est pas une question d’outil, mais une question de culture. Sur le format, Stylo est même plus simple que Word, l’investissement est minime. La question est culturelle, les environnements de savoir ont évolué et les plateformes web investissent largement l’espace, il y a un réflexe conservateur sur ce qui produit la scientificité, or avec Stylo on cherche à faire évoluer cette culture.