
1J’écris toujours sur ordinateur. Je fais, comme beaucoup, des allers-retours entre mon traitement de texte et mon navigateur internet. Cela me permet d’aller piocher tout et n’importe quoi pouvant me servir pour écrire, textes comme images.
2J’ai parfois utilisé des images spécifiquement web : des webcams. Ça a
commencé lorsqu’on m’a proposé de participer au projet Acoustic
Cameras, qui récupère le flux de différentes webcams et demandent de
produire un enregistrement audio qui devient une bande son associée.
J’avais déjà réfléchi à ce type d’image pour l’avoir utilisé lors d’ateliers d’écriture Image et écriture en art-thérapie. Urbain, j’ai choisi pour ce projet une vue
d’immeubles à Amsterdam. Mon texte imagine les personnes dans les
habitations.
3En cherchant cette webcam, un autre projet est né. Il a donné lieu à un livre (Localisation Londres, Lanskine, 2023) écrit en partant d’une webcam située dans un salon de coiffure pour hommes à Londres. Ce lieu apparaissait comme une petite scène avec des protagonistes qui rentrent et sortent. Cette idée de scène occupée à certains moments m’a fait placer une photo du lieu sans personne avant et après le texte dans le livre. Le texte se concentrant sur les personnes et leurs mouvements qui viennent habiter ce décor.
4La différence entre observer une webcam et des films ou des photos,
c’est qu’il faut saisir très vite les choses. Il n’y a pas d’arrêt ou de retour en arrière possible. Si je passe trop de temps à noter, je perds le flux, la personne que je suis en train de décrire sur un
fauteuil est déjà sortie du salon. Je suis passé par une prise de notes
au dictaphone (plus rapide que la main pour un premier jet), puis j’ai retranscrit cela avant de le retravailler en mettant l’ensemble à l’imparfait car je voulais que le lecteur ait la sensation d’arriver
après l’action. M’intéressait aussi la question du rapport spatial
entre les choses. Dans ce cas, on a une spatialisation en mouvement Laisser agir une séquence d’images : la
coiffeuse qui se déplace, contourne le client, sort du champ de la
webcam, revient, le coiffeur se déplaçant simultanément… Ce sont des choses que j’essaie de transcrire dans l’écriture. Décrire le mouvement de quelqu’un et passer au mouvement de quelqu’un d’autre, jouer sur les glissements de l’un à l’autre.
5Pour certains projets, j’ai parfois constitué spécifiquement des stocks d’images. Par exemple, pour Cohabitations dans Monde de seconde main (l’Attente, 2019), je suis parti de photos de Lee Friedlander.
Cela avait été impulsé en voyant sur internet quelques images d’une de
ses séries : The Little Screens. J’ai fait une recherche en ligne pour
savoir le nombre de photos qu’elle contenait. Je les ai traquées sur le
net. J’ai complété en photographiant dans des catalogues en bibliothèque
pour reconstituer la série. Plus j’avançais, plus je sentais un
potentiel, un écho à mes intérêts, mes questionnements. C’est d’abord
de l’ordre de l’intuition plus que de la réflexion. Je vois une image
quelque part et j’y sens un potentiel d’écriture… pour moi, ou pour
d’autres dans le cadre d’un atelier. Cela peut être dans un catalogue que je possède, dans une bibliothèque ou sur internet. Je retourne voir des sites que
j’ai bookmarké ou des comptes Instagram d’artistes ou de photographes
qui m’intéressent. Je fais de moins en moins ce type de bookmarks, cela s’est déplacé avec Instagram Dos aux images. J’essaie aussi de ne pas juste engranger
pour engranger.
6Dans les ateliers d’écriture que j’anime depuis 25 ans, j’utilise de
plus en plus l’image comme impulsion pour écrire, car elle n’a pas le
côté intimidant d’un texte littéraire. Mais il faut
trouver des images qui forment un bon point de départ. Par exemple, avec
les tableaux de paysages impressionnistes, j’ai constaté que ça ne
décolle pas vraiment, le pictural prend le dessus. C’est pourquoi je
privilégie la photographie, qu’elle soit documentaire ou entièrement
construite, mise en scène par son auteur. Des images de l’ordre du décor,
quand il n’y a pas de personne, fonctionnent bien. Elles permettent à
celui qui écrit de s’y projeter Image et écriture en art-thérapie.
7C’est aussi intéressant de sortir de l’image fixe. Avec des ados dans un
lycée pro où l’objectif était de travailler le français et les
compétences numériques avec la professeure de Lettres et la professeure
documentaliste, j’ai utilisé un autre type d’images spécifiquement web GifItUp!, du bildakt au bildhack : Google Street View. Mon idée était de faire écrire les
participants sur des lieux connus d’eux, mais avec un autre regard
porté dessus. C’est aussi l’occasion de travailler un rapport singulier
au temps. En « panotant », ils découvrent que les images raccordées
n’appartiennent parfois pas au même moment, à la même saison ; qu’on
passe d’un type en T-shirt à une dame en manteau d’hiver ou qu’un
échafaudage disparaît. Je trouvais intéressant que ce rapport au temps
se traduise de manière spatiale. Un élève avait choisi d’écrire sur son
ancienne maison. Il a commencé à écrire des choses comme « Je revenais
de la boulangerie ». On lui a dit « Ben vas-y à la boulangerie », et il
a refait le parcours. D’autres faisaient le tour de leur ancien collège.
Comme Google ne va pas encore faire des photos dans les collèges, ils
cliquaient désespérément pour entrer dans leur collège en disant :
« Mais, là, on ne voit pas qu’il y a telle et telle chose ». On leur a
répondu : « Justement écris-le, ce qu’on ne voit pas ». Cette approche a
vraiment été riche, combinant description des images et souvenirs
associés entremélés.
Témoignage écrit sur la base des entretiens avec Anne Reverseau réalisés en 2020 et 2021 en ligne, et revu en 2024.